Un témoignage sensible et singulier

Par Clément Nault — 1er août 2025
Dans ce témoignage, Clément Nault retrace sa transition vers la retraite après une vie bien remplie en enseignement et en politique municipale. Il y explore la solitude comme une expérience d’introspection, de redéfinition du temps et de recentrage sur l’essentiel. Une méditation simple et profonde sur le vieillissement.
Après 35 années passées dans le tumulte joyeux des salles de classe et 33 ans à naviguer dans les méandres de la politique municipale, le jour est arrivé où tout s’est arrêté. Plus de réunions à n’en plus finir, plus de copies à corriger en buvant un café tiède, plus d’appels impromptus pour régler un problème de voirie ou répondre aux doléances des citoyens. Bref, après 60 heures de travail hebdomadaire pendant des décennies, la page s’est tournée. Et il a bien fallu apprendre à écrire la suivante.
Le jour de la retraite
La retraite, ce grand bouleversement de la vie, est une étape que chacun doit affronter un jour. Après des décennies d’une vie bien remplie, rythmée par des responsabilités professionnelles et politiques, vient le moment du silence, du ralentissement, et parfois même du vide. Pour certains, cette transition est une libération tant attendue ; pour d’autres, elle représente un gouffre d’incertitude et de solitude. Comment donc traverser cette période avec sérénité, voire avec bonheur ? « Le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-même », écrivait Confucius. Ce voyage-là, je ne l’avais jamais entrepris. Alors, une fois passé le vertige des premières semaines, il a fallu remplir ce temps soudainement vacant. Pas question de se laisser aspirer par l’inaction. J’ai chaussé mes bottes de marche, pris mon appareil photo, découvert le plaisir de flâner sans objectif précis. J’ai commencé à rendre service, à faire du bénévolat, à profiter de ce que je n’avais jamais eu le loisir d’apprécier pleinement : la simplicité des choses.
On nous parle souvent de la retraite comme d’un repos bien mérité. Mais après tant d’années à courir, s’arrêter brusquement peut ressembler à un mur plus qu’à une destination idyllique. Comme l’a si bien dit Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » Alors j’ai fait, moi aussi. J’ai appris à réorganiser mes journées autrement. J’ai troqué l’agenda surchargé contre un agenda, disons, plus souple, où il reste de la place pour les imprévus, pour un café avec un ami, pour un lever de soleil attrapé au vol.
Quand le silence pèse
Mais soyons honnêtes : ce n’est pas toujours simple. L’habitude de l’action est tenace, et il faut apprendre à ne pas culpabiliser de ne rien faire. Comme le disait Sénèque : « Ce n’est pas que nous disposions de peu de temps, c’est que nous en perdons beaucoup. » Voilà une grande vérité que j’ai fini par comprendre. Le temps, ce précieux allié, peut être un adversaire redoutable si l’on ne sait pas l’apprivoiser.
Après une vie marquée par le travail, les échanges constants et un rythme effréné, la solitude peut apparaître comme un défi, voire un bouleversement. Pourtant, elle peut aussi devenir une opportunité précieuse pour se recentrer sur soi-même, retrouver une liberté oubliée et cultiver un bien-être personnel. J’avoue que m’adapter à cette nouvelle réalité m’a demandé du temps, de la patience et une réelle ouverture d’esprit. C’est une introspection bienveillante, un retour sur mon propre parcours et une redécouverte de moi-même qui m’ont permis de renouer avec des passions mises de côté ou encore d’explorer de nouvelles activités.
J’ai veillé à entretenir mes liens sociaux pour éviter que la solitude ne se transforme en isolement. J’ai préservé, et parfois même enrichi, mes relations en cultivant les amitiés existantes ou en m’ouvrant à de nouvelles rencontres. J’ai aussi été confronté à la redéfinition du quotidien, qui passe par l’apprentissage du plaisir d’être seul. Apprécier un bon livre ou encore faire une longue marche. Tout cela m’a permis de transformer le temps en allié plutôt qu’en fardeau. C’est l’occasion d’écouter ses envies profondes, de savourer les petits plaisirs simples qu’on négligeait autrefois — ou même d’écrire un article pour transmettre ses connaissances. La preuve, tu es en train de le lire !
La solitude a désormais un sens. Il ne s’agit pas de combler un vide, mais de réinventer un équilibre. C’est une période qui, loin d’être une fin, peut être le début d’une nouvelle forme d’épanouissement, empreinte de sérénité et de liberté.
Une nouvelle maison | un nouveau rythme
La retraite ne se prépare pas du jour au lendemain. Mon épouse et moi avons pris le temps d’y réfléchir. Éventuellement, nous avons décidé de vendre notre maison et de nous départir de plusieurs possessions, tant que nous avions encore l’énergie et la santé pour le faire sereinement. Trop de gens autour de nous attendaient d’être obligés, forçant ainsi les décisions dans l’urgence ou la contrainte. Nous avons choisi de le faire de manière volontaire, en avance, afin de rester maîtres de notre parcours.
Le moment du tri fut, il faut le dire, difficile. Chaque objet semblait raconter une histoire. Il ne s’agissait pas seulement de se débarrasser, mais de faire un choix — entre ce que nous voulions garder, transmettre, ou laisser partir. Ce travail de détachement fut aussi une manière de revisiter notre vie, de relire le passé et de laisser plus d’espace à ce qui vient.
Cependant, la solitude vécue dans un logement peut être lourde. Après quelques années, nous avons emménagé dans une résidence privée de notre choix, adaptée à nos besoins et offrant des services et du soutien. Ce choix nous rassure, tout comme il rassure nos enfants.
En résidence, il y a toujours de la vie autour, des opportunités de socialiser, de participer. On est seuls, ensemble. L’importance des activités est essentielle : chacun choisit les siennes, rien n’est imposé. Un repas partagé peut transformer une journée morose en un moment lumineux. Le regard change : les voisins deviennent des compagnons de route, les échanges informels se transforment en amitiés. Je m’implique dans des comités et je participe aux événements qui rythment la vie communautaire. La solitude devient plus douce, partagée, apprivoisée. Chaque engagement m’offre une nouvelle façon de contribuer et d’échanger. Après tout, chaque jour est une nouvelle opportunité d’apprendre, de partager, et de rire aussi. La solitude, parfois redoutée, devient une compagne plus qu’une ennemie lorsqu’on sait en tirer parti.
Dans notre choix de résidence, nous nous sommes aussi rapprochés géographiquement de notre fille, ce qui facilite les visites. Et quand ce n’est pas possible de se voir, la technologie prend le relais : appels vidéo, FaceTime et messagerie. Ces outils permettent de rester proche de notre fils également qui demeure à plus de 200 kilomètres et de nos petits-enfants. C’est précieux. Cela aide à combattre la solitude.
Depuis sept ans aujourd’hui dans une résidence pour personnes âgées, ce cadre m’a permis de tisser de nouveaux liens, de rester engagé et de donner un sens nouveau à cette solitude. C’est un espace de liberté, un champ des possibles où l’on peut réapprendre à exister autrement. Et si cette nouvelle page de vie est moins remplie de rendez-vous, elle m’apparaît finalement plus riche en sens.
Ce qui reste quand tout s’éloigne
Nous passons une grande partie de notre existence à chercher la réussite, souvent définie en termes de carrière, de statut ou de richesse. Mais au crépuscule de la vie, on comprend que la véritable réussite est ailleurs : dans les relations que nous avons tissées, dans l’amour que nous avons partagé et dans les souvenirs que nous laissons à nos deux enfants et aux neuf petits-enfants.
Avec l’âge vient souvent une réflexion plus profonde sur la vie, son sens et ce qui est véritablement essentiel. L’agitation du monde professionnel laissait peu de place à cette forme d’introspection. La retraite, elle, offre ce temps précieux — ce recul qui permet de regarder autrement, et plus doucement, ce qui nous habite.
Certains trouvent du réconfort dans la spiritualité, d’autres dans la méditation, l’art ou la contemplation de la nature. Moi, je l’ai trouvé dans ma foi et dans une vie partagée avec les autres, dans les relations simples, vraies, dans les gestes offerts et reçus. C’est là que j’ai puisé une paix nouvelle. Je crois que, peu importe la forme que prend cette quête, elle ouvre la voie à une manière plus apaisée d’habiter sa vie. Elle permet d’accueillir les jours avec davantage de lucidité, de gratitude — et d’accepter, avec tendresse, l’inéluctabilité du temps qui passe. Ma foi a pris avec l’âge une place plus simple, mais plus profonde. Elle me donne la paix quand l’inquiétude surgit, m’aide à accepter les pertes, les départs, et m’enseigne la gratitude pour ce qui est encore là.
À 84 ans, il est clair que le passé est plus long que l’avenir. Mais cela ne signifie pas que tout est fini. L’avenir est encore à nos portes, tant que la santé persiste. Il faut en profiter pleinement, apprécier chaque instant, et continuer à cultiver la bienveillance. Nous passons une grande partie de notre vie à courir après la réussite. Mais en fin de compte, ce qui reste, ce sont les relations, l’amour donné et reçu et les souvenirs transmis. L’argent seul ne fait pas le bonheur : c’est la richesse du cœur qui compte.
La gratitude pour une vie partagée
Après 60 ans de vie commune avec mon épouse, je réalise à quel point le partage et la complicité sont essentiels. La retraite est aussi l’occasion de savourer pleinement la présence de l’autre. Il faut savoir remercier la vie — ou le Seigneur — pour ce que l’on a reçu. Chaque jour est un cadeau.
Finalement, la retraite n’est pas une fin, mais un nouveau chapitre. Une transition, une opportunité de se redécouvrir, de se réinventer, et surtout, de continuer à cultiver la joie de vivre.
Merci à mon épouse Lyane, pour son accompagnement et son soutien tous les jours de notre vie commune.
Clément Nault est une figure marquante de la politique municipale en Estrie. Il a été maire de Bromptonville pendant 22 ans et a siégé au conseil municipal pendant un total de 33 ans. Après la fusion de Bromptonville avec Sherbrooke, en 2002, il est devenu le premier président de l’arrondissement de Brompton, poste qu’il a occupé jusqu’en 2005. Parallèlement à sa carrière politique, Clément Nault a été enseignant en géographie à l’école secondaire de Bromptonville pendant près de 30 ans. Il a également été président du conseil d’administration de cette école.
Pour en connaître davantage sur son parcours, les lecteurs pourront consulter l’entrevue qu’il a accordée au journal La Tribune en septembre 2023 : Clément Nault: « J’ai apprécié chaque instant de ma vie en politique »