La pratique spirituelle peut-elle alléger le poids de la solitude chez les personnes âgées

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Par Christopher Peiffer – 1er août 2025

Et si la spiritualité pouvait vraiment faire une différence dans la vie des aînés isolés ? À partir de son expérience sur le terrain, l’auteur explore comment cette dimension — qu’elle soit religieuse ou non — peut aider à briser la solitude. Il propose des pistes concrètes et accessibles pour intégrer la spiritualité dans les soins et renforcer les liens humains.

 
La solitude est un phénomène complexe, touchant de nombreux individus partout dans le monde. Et ce sentiment touche aussi de nombreuses personnes âgées, avec des conséquences néfastes sur leur santé mentale et physique. Dans une société où les liens sociaux se font de plus en plus rares (du moins en réel), et où les familles sont souvent dispersées géographiquement, la solitude est plus que jamais un enjeu de santé publique.
 
Tout au long de ma carrière de soignant, à domicile et en institution de santé mentale, j’ai pu observer ce constat. La solitude représente l’envers des rapports humains, une dimension cachée qui se révèle au grand jour que si l’on prend le temps de la regarder en face.
 
Restons prudents dans nos automatismes de réflexion qui nous conduiraient à penser que la solitude résulte uniquement d’un enchaînement de circonstances ayant conduit une personne âgée à se retrouver seule. Il y a bien sûr la diminution de certaines capacités voire la perte d’autonomie, le décès d’amis proches, l’éloignement de la famille ou encore la peur croissante de sortir qui s’accentue avec l’âge. Ici, la solitude se manifeste comme un état physique, un constat factuel et observable. Pour autant, la solitude est aussi un sentiment profond de lassitude, d’inutilité, et d’exclusion de la vie sociale. Cette vie que nous traversons chaque jour sans même y prêter attention.
 

Comment alors donner du sens à une journée identique à celle d’hier et de demain ?

La spiritualité peut jouer un rôle non négligeable dans l’allégement de ce poids lié à la solitude. Cet article explore comment la solitude est vécue par les personnes âgées et propose quelques pistes pour l’atténuer, en mettant l’accent sur la spiritualité comme l’une des ressources possibles.
 

La solitude | un problème complexe

La solitude chez les personnes âgées peut se définir comme un sentiment subjectif de manque ou de perte de relations sociales significatives (Perissinotto et al., 2012). Elle est souvent majorée par des événements divers et variés comme la perte d’un conjoint (principal facteur), l’éloignement familial (les enfants qui habitent loin), ou des problèmes de santé qui limitent la mobilité.
 
De plus, la solitude n’est pas seulement une question d’isolement physique, mais aussi de perception de soi dans le monde qui nous entoure. Les personnes âgées peuvent se sentir seules même en présence d’autres personnes si elles estiment que leurs relations ne sont pas satisfaisantes (Cacioppo et al., 2015). La solitude prend alors la forme d’un sentiment diffus, qui colle à la peau et devient source de ruminations mentales.
 
Les conséquences de la solitude sur la santé des personnes âgées sont bien documentées. La solitude est associée à une augmentation du risque de dépression, d’anxiété, et même de déclin cognitif (Holt-Lunstad et al., 2015). De plus, elle peut conduire à une aggravation des maladies chroniques, une diminution de la qualité de vie, et un risque accru de mortalité prématurée (Leigh-Hunt et al., 2017).

Quand il est dit que "la solitude tue", ce n'est pas une métaphore.
 

La spiritualité comme l’une des ressources face à la solitude

Pour commencer, essayons de définir ce qu’est la spiritualité ; de par sa nature même, la spiritualité peut prendre plusieurs formes et se situe au carrefour d’au moins trois domaines : la philosophie, la religion et la psychologie. Pour oser une synthèse de ces trois façons de la voir, je dirai qu’elle peut se définir comme une recherche personnelle de sens et de connexion avec quelque chose de plus grand que soi.
 
Pour certaines personnes âgées, se tourner vers la spiritualité ou du moins, vers une recherche spirituelle serait une source de réconfort et de résilience (Koenig, 2012). Elle propose un cadre pour comprendre et accepter les changements inévitables liés au vieillissement (difficultés dans le maintien en santé, perte de proches, etc.).
 
Par exemple, l’un des concepts fondateurs de la philosophie stoïcienne est le fait de distinguer dans notre vie, ce qui dépend de nous de ce qui ne dépend pas de nous. Une personne âgée dont la quête spirituelle prend la voie du stoïcisme pourra orienter ses actions vers les choses qui dépendent encore d’elle (s’alimenter sainement, faire un minimum d’activités physiques, se rapprocher d’associations, apprendre de nouvelles choses, etc.) et lâcher prise sur les choses qui ne dépendent pas d’elle (limitations dues à l’âge, perte de certaines facultés, éloignement ou disparition de l’entourage, etc.).
 

La spiritualité et le sentiment d’appartenance

Le besoin d’appartenance est l’un des facteurs les plus protecteurs pour une bonne santé mentale. À ce propos, le risque suicidaire pour une personne (âgée ou pas) devient maximal lorsque deux sentiments viennent s’ajouter l’un à l’autre : le désespoir + la désappartenance.
 
La pratique spirituelle, religieuse ou laïque, renforce le sentiment d’appartenance à une communauté. Comme vu juste au-dessus, le sentiment d’appartenance est l’un de nos plus importants besoins fondamentaux. C’est pour cette raison qu’en miroir de ce besoin, l’une des plus grandes craintes est d’être rejeté de la communauté.
 
Les lieux de culte, les groupes d’étude, les retraites spirituelles et les clubs philosophiques sont autant de lieux de socialisation et de soutien mutuel. Ces interactions sociales peuvent réduire le sentiment de solitude en créant des liens significatifs (Krause, 2006).
 
J’ai eu l’opportunité d’assister il y a quelques années à une retraite dont le fil rouge était la méditation de pleine conscience (mindfulness). Parmi les nombreux participants, les plus âgés s’étaient inscrits dans cette démarche afin de pratiquer cet exercice d’introspection par excellence. Les échanges, les partages et les réflexions semblaient nourrir pleinement leur besoin d’appartenance.
 

Quelques pistes concrètes pour lutter contre le poids de la solitude grâce à la pratique spirituelle
Se rapprocher d’activités communautaires

Nous venons de l’aborder dans le paragraphe précédent, mais cette piste pourrait se suffire à elle-même. Par cette action, un grand nombre de besoins peut prémunir du sentiment de solitude et préserver une bonne santé mentale : besoin d’appartenance, de stimulation, de reconnaissance, de communiquer, d’apprendre, de se récréer, etc.
 
Avec tous ces besoins satisfaits, une personne âgée aura plus de chance de se sentir bien dans son quotidien avec tous les bénéfices sur sa santé mentale et physique en sus.
 

Penser au bénévolat

Le bénévolat est l’une des formes que peut prendre une activité communautaire. Les associations caritatives ou spirituelles offrent aux personnes âgées un sens, des buts et une opportunité régulière d’interactions sociales (Greenfield & Marks, 2004).
 
Le sentiment d’altruisme est très puissant pour se sentir utile au monde qui nous entoure. Les personnes âgées, souvent stigmatisées par la société comme « inutiles », trouveraient dans cette activité une nouvelle façon de contribuer à la vie de la cité.
 

Intégrer un peu de spiritualité dans les soins

Les soins délivrés par les soignants peuvent aussi être empreints de spiritualité. Le soin est un espace-temps unique et propice aux conversations. Un soignant peut facilement, lors d’un soin, poser quelques questions à une personne âgée pour l’amener dans une réflexion d’ordre spirituel.
 
Exemples de questions possibles :

  • Qu’est-ce qui a été important pour vous dans votre vie ?

  • Quelles expériences de vie ont été les plus apprenantes pour vous ?

  • Qu’avez-vous envie de transmettre comme valeurs aux jeunes d’aujourd’hui ?

  • Quelles sont les personnes qui vous ont fait grandir tout au long de votre vie ?

  • Qu’est-ce qui vous a toujours caractérisé, en matière de qualité, de forces, de compétences durant toute votre vie ?

  • Quels ont été vos plus beaux projets réalisés ?

  • Si vous ne deviez garder qu’un seul souvenir de votre vie, lequel serait-il ?

 
Toutes ces questions, et bien d’autres amènent autant de récits sur ce qui est précieux pour la personne âgée. Renouer avec ces choses qui parlent d’elle, au passé comme au présent, la fera reconnecter avec l’essentiel de son être.
 
La solitude est un défi considérable pour les personnes âgées, mais elle n’est pas insurmontable. La spiritualité offre une voie signifiante pour atténuer ce sentiment en renforçant le lien social et en proposant un sens profond face aux défis du vieillissement. En intégrant la spiritualité dans les approches de soin et en encourageant les interactions communautaires, nous pouvons aider les personnes âgées à mener une vie plus épanouie et satisfaisante.
 

Références

Cacioppo JT, Cacioppo S. « Social Relationships and Health: The Toxic Effects of Perceived Social Isolation ». Soc Personal Psychol Compass. (2014) Feb 1;8(2):58-72. doi: 10.1111/spc3.12087. PMID: 24839458; PMCID: PMC4021390.

Greenfield EA, Marks NF. « Formal volunteering as a protective factor for older adults' psychological well-being ». J Gerontol B Psychol Sci Soc Sci. (2004) Sep;59(5):S258-64. doi: 10.1093/geronb/59.5.s258. PMID: 15358800.

Holt-Lunstad J, Smith TB, Layton JB. « Social relationships and mortality risk: a meta-analytic review ». PLoS Med. (2010) Jul 27;7(7):e1000316. doi: 10.1371/journal.pmed.1000316. PMID: 20668659; PMCID: PMC2910600.

Koenig HG. « Religion, spirituality, and health: the research and clinical implications ». ISRN Psychiatry. (2012) Dec 16;2012:278730. doi: 10.5402/2012/278730. PMID: 23762764; PMCID: PMC3671693.

Krause N. « Church-based social support and mortality ». J Gerontol B Psychol Sci Soc Sci. (2006) May;61(3):S140-6. doi: 10.1093/geronb/61.3.s140. PMID: 16670191.

Leigh-Hunt N, Bagguley D, Bash K, Turner V, Turnbull S, Valtorta N, Caan W. « An overview of systematic reviews on the public health consequences of social isolation and loneliness ». Public Health. (2017) Nov;152:157-171. doi: 10.1016/j.puhe.2017.07.035. Epub 2017 Sep 12. PMID: 28915435.

Perissinotto CM, Stijacic Cenzer I, Covinsky KE. « Loneliness in older persons: a predictor of functional decline and death ». Arch Intern Med. (2012) Jul 23;172(14):1078-83. doi: 10.1001/archinternmed.2012.1993. PMID: 22710744; PMCID: PMC4383762.
 



Christophe Peiffer est cadre de santé en établissement de soins en santé mentale et bénéficie de 25 ans d’expérience dans ce domaine. Également praticien narratif, il accompagne les patients à retrouver leur pouvoir d’agir face à divers problèmes prenant trop de place dans leur vie. Auteur de plusieurs ouvrages, dont « Le Burn-out du dirigeant » et du site « le blogue des Rapports humains », il partage ses réflexions sur la santé mentale et les relations humaines. Ses multiples formations lui ont permis de développer un cadre de référence riche et diversifié, qu’il met au service de ses patients et de ses équipes pour les aider à relever les nombreux défis du quotidien. Il exerce son activité au sein d'une clinique psychiatrique dans le sud de la France à Pégomas, près de Cannes.


Commentaires



 

Voir les commentaires (1)
3 août 2025

Oui, la spiritualité est un remède à la portée de tout le monde pour vaincre la solitud. La fin de l'évantile selon saint Mathieu garantit la présence de Dieu tous les jours. Pour moi, c'est consolant et je le souhaite pour toute personne. Merci pour cet article.

Par Agathe Brodeur


Dernière révision du contenu : le 29 juillet 2025

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