Le développement psychospirituel de l’enfant | proposition de trois axes






Par Christian Bellehumeur – 1er août 2021

Plaçant l’imaginaire au cœur du développement psychospirituel des jeunes, l’auteur propose dans ce texte trois axes au développement psychospirituel de l’enfant: intériorité, identité et autorégulation.


À cause de la pandémie actuelle, bien des parents ont dû s’ajuster à la réalité du télétravail et réorganiser leur vie familiale en conséquence. Au-delà des contraintes, tels que les défis liés aux cours en ligne de leurs enfants, certains parents en ont profité pour apprécier ce temps supplémentaire en famille. Ils ont pu les observer davantage au quotidien. Cet article s’appuie d’une croyance partagée par d’autres, à savoir que les enfants ont beaucoup plus à nous apprendre sur la spiritualité que nous pouvons l’imaginer (Soulayrol, 2006). Or, cette idée ne date pas d’hier, comme en fait foi de nombreux passages bibliques tels que : « Laissez venir les petits enfants à moi [Jésus] » (Luc 18, 15-17; Marc 10, 13-16); « Si vous ne devenez comme un enfant, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Matthieu 18,3) (Gossin, 2016).

Pour aborder le développement psychospirituel, mentionnons qu’il est difficile d’arriver à une définition consensuelle de la spiritualité ; elle est, dans un sens, comparable au vent qui ne peut être saisi (Nye, 1999). Définissons néanmoins le développement psychospirituel des jeunes, il s’agit du : « […] processus de croissance de la capacité intrinsèque de l’être humain pour l’auto transcendance, dans laquelle le soi est intégré à quelque chose de plus grand que soi, y compris le sacré. Il est le moteur du développement qui propulse la recherche de connexion, de signification, de raison d’être et de contribution. Il est formé à l’intérieur et à l’extérieur des traditions, des croyances et des pratiques religieuses » (Roehlkepartain et coll., 2006, pp. 205-206, traduction libre).

L’enfant dispose naturellement d’un élan spirituel précoce le poussant à s’intéresser entre autres à l’illusion, la rêverie, la pensée magique (Soulayrol, 2006). Ces domaines font écho à l’imaginaire1. D’autant plus qu’en décrivant le monde qui l’entoure et l’habite, l’enfant pense d’abord par images et métaphores (avant de réfléchir avec les idées et les concepts issus du langage et de l’éducation). Plaçant l’imaginaire au cœur du développement psychospirituel des jeunes (enfants et des préadolescents) (Bellehumeur, Deschênes et Malette, 2012), ce texte propose trois axes  au développement psychospirituel de l’enfant : intériorité, identité et autorégulation.

L’axe de l’intériorité | se connecter à son monde intérieur

Dès les premiers moments de sa vie, le nouveau-né dépend du toucher chaleureux de ses parents; c’est une question de confiance (cf. théorie développementale d’Erikson), de sécurité (cf. la théorie d’attachement de Bowlby), et de survie. Comme le nouveau-né, le jeune enfant est complètement dépendant de ses parents pour les soins primaires. Pour expérimenter la sécurité, il doit s’abandonner à eux avec confiance. Il a besoin de vivre, à différents moments de la journée (parfois la nuit!), des moments rassurants, de se blottir pour être apaisé et réconforté (cf. les structures « mystiques/intimistes »).

La dimension relationnelle constitue le point d’ancrage de nombreuses définitions de la spiritualité (Miller, 2015). En termes de développement psychospirituel, on a souvent mis l’emphase sur la relation à un Être supérieur (Dieu). En même temps, l’enfant, en relation avec les autres, doit apprendre à découvrir comment s’habiter et à devenir bien dans sa peau, ce qui implique une plongée plus intimiste en soi. En se basant sur Hay et Nye (2006), Risdon (2017) souligne que les enfants sont biologiquement ancrés dans une triple sensibilité qui favorise l’éveil :

  1. à l’ici et maintenant (ex. via l’expérience sensible et esthétique) ;
  2. au sens du mystère (ex. à l’émerveillement) ;
  3. au sens des valeurs et du sacré.


Des caractéristiques de l’enfance (c-à-d. la dépendance, l’innocence, la vulnérabilité, la simplicité, etc.) révèlent sa spiritualité. En effet, dans l’immédiateté de son expérience sensible, l’enfant s’émerveille spontanément; il est authentique. L’enfant aime jouer et contempler. Enfin, au carrefour de ces caractéristiques propres au développement de l’enfant se loge la conscience relationnelle (c.-à-d. conscience de sa relation à soi-même, à autrui, et à la transcendance (Nye, 1999).
 

L’axe de l’identité |explorer et questionner le monde extérieur

Pour s’épanouir, l’enfant doit se donner des buts, s’engager à apprendre et contribuer au monde qui l’entoure. Ces actions pourront le conforter dans sa quête identitaire, via le développement de ses talents et compétences. S’il jouit d’un milieu sécurisant, l’enfant se tourne aisément vers la nouveauté. Il aime explorer ce qu’il ne connait pas encore. L’enfant tend à aborder la vie avec un regard neuf, et ainsi à élargir ses possibilités et être ouvert à faire des découvertes enrichissantes. La créativité de l’enfant s’exprime entre autres dans sa manière bien originale de voir le monde. Il est fasciné par l’imaginaire (père Noël, lapin de Pâques, fée des dents), le monde fantaisiste (super héros) et surnaturel (fantômes, etc.).

Soulayrol (2006) souligne des indices d’une spiritualité spontanée et active chez l’enfant. Il pose des questions métaphysiques qui interrogent le sens de son existence : « D’où suis-je venu? Où étais-je avant de naître? Pourquoi suis-je là? » Et bien souvent, les questions sur la vie sont plus rares que celles sur la mort; il demandera notamment à ses parents : « Qu'est-ce que la mort? »

Enfin, l’esprit curieux de l’enfant fait écho à ce désir d’explorer et de prendre des risques afin de rendre la vie plus riche et stimulante. Que ce soit en jouant à la cachette ou en s’adonnant à des courses à obstacles improvisées dans un parc, il teste constamment ses propres limites. C’est en explorant, questionnant le monde extérieur qu’il se fait une meilleure idée du regard des autres sur lui-même et qu’il consolide peu à peu sa propre identité (cf. structures « héroïques/puristes » qui distinguent et séparent. (Durand, 2016).
 

L’axe de l’autorégulation | équilibrer, concilier et croître

D’abord au sein de sa famille puis à l’école et ailleurs, l’enfant apprend à concilier ou équilibrer l’art d’être soi-même et être avec les autres. Il doit sans cesse s’ajuster, en naviguant au sein de multiples polarités: individuation versus socialisation, maintien (des valeurs traditionnelles) versus transformation; contemplation versus engagement, ou pour Nye (1999): sensibilité intériorisée versus connexion extériorisée. Ces polarités en tension font partie d’un système nécessaire à la croissance psychospirituelle (cf. structures « systémiques » de l’imaginaire où les contraires coexistent). Si l’une des polarités prend trop de place par rapport aux autres, « la vie spirituelle subit des dommages, tant pour la personne elle-même que pour la communauté au sein de laquelle elle se trouve. Autrement dit, la vie spirituelle consisterait davantage en une position d’équilibre entre les (…) [diverses polarités] plutôt qu’en chacune prise séparément » (Risdon, 2017, p. 173).

Pour croître sainement, l’enfant a besoin de constante rétroaction respectueuse, aimante et constructive des adultes, afin qu’il puisse mieux s’auto réguler. Contrairement à l’adulte, l’enfant est plus émotionnel et moins rationnel; il accorde plus d’importance au monde non rationnel, à l’imaginaire. Ce faisant, les enfants ont une tendance à percevoir les choses sur le plan plus affectif (ou plus global); il analyse moins que les adultes. Si l’on dit: « la vérité sort de la bouche des enfants. », n’est-ce pas en raison de leur innocence et leur spontanéité? Les enfants arrivent à nommer bien souvent ce qui échappe aux adultes. Leur attention est davantage tournée vers l’affectif (c.-à-d. le contenu non verbal) ce qui les guide, bien souvent, beaucoup plus près de l’essence des propos d’un l’interlocuteur d’âge adulte. Par ailleurs, l’enfant est aussi dépendant et sera sensible aux modèles reçus; il a ainsi besoin d’être accompagné par des adultes conscients d’eux-mêmes pour développer pleinement sa conscience relationnelle.

Et si les enfants manquent plus de connaissances que les adultes pour expliquer les choses, tout porte à croire que pour eux, les mystères de la vie, telle que la mort, peuvent être abordés autrement, parfois même amicalement. Pensons aux témoignages renversants d’enfants atteints d’un cancer, devenus des phares d’espérance pour les adultes! Enfin, les enfants comprennent que la capacité langagière demeure limitée pour décrire toute la richesse, la profondeur et l’ampleur de l’expérience humaine et spirituelle. À l’aise avec l’ineffable, ils savent accorder une valeur à ce qui ne peut se dire, à ce qui est mystérieux d’où leur acceptation plus naturelle des phénomènes plus spirituels.

Toutes ces caractéristiques propres à l’enfance ne peuvent qu’interpeler les adultes qui cherchent à favoriser le développement psychospirituel des enfants. Prenons-nous le temps de les écouter, de les observer, de les accueillir? Sommes-nous des témoins privilégiés de leurs plaisirs authentiques d’apprendre et de créer? Qu’en est-il de notre capacité à reconnaître les paradoxes inhérents au monde des enfants? Par exemple, au-delà de leurs tendances égocentriques, percevons-nous leur grande capacité à pardonner? Savons-nous percevoir qu’ils peuvent jouer « sérieusement »? Qu’ils sont des êtres à la fois simples et mystérieux ? Pouvons-nous saisir qu’ils sont des êtres à la fois dans l’immédiat du monde sensible, et pourtant si ouverts au monde surnaturel et invisible2?
 

Références

Bellehumeur, C., Deschênes, G., & Malette, J. (2012). L’imaginaire au cœur du développement psychospirituel des jeunes : une réflexion interdisciplinaire sur la spiritualité de l’enfance et de la préadolescence. Sciences religieuses / Religious Studies, 41(1), 68-92.

Durand, G. (2016). Les Structures anthropologiques de l’imaginaire: Introduction à l’archétypologie générale. Paris: Dunod.

Gossin, R. (2016). L’enfant théologien. Godly Play. Une pédagogie de l’imaginaire. Namur, Belgique/ France, Paris. Éditions jésuites.

Hay, D., & Nye, R. (2006). The Spirit of the Child. Revised Edition. London, UK: Jessica Kingsley.

Laprée, R. (2017). La sagesse des 9-12 ans: 30 vies chez monsieur Lazhar. QC : Presses de l’Université Laval.

Laprée, R et Blouin, S. (2020). La psychagogie comme mode d’accompagnement, Éducation et socialisation [En ligne], 56 | 2020, mis en ligne le 01 juin 2020. DOI : https://doi.org/10.4000/edso.12003
Miller, L. (2015). The Spiritual Child. New York : Picador.

Nye, R. (1999). Relational Consciousness and the Spiritual Lives of Children: Convergence with Children’s Theory of Mind? In H. Reich, F.K. Oser, and W.G. Scarlett (Eds), Psychological Studies on Spiritual and Religious Development (57-83). Lengerich, Germany: Pabst.

Risdon, M.-A. (2017). Vie spirituelle et épanouissement personnel des jeunes. Dans R. Laprée (dir.). La sagesse des 9-12 ans : accompagner l’autre sur le chemin vers soi. Paris, France: Hermann Éditeurs, p. 165-176.

Roehlkepartain, E., P.L. Benson, P. Ebstyne King et L. Wagener (2006). Spiritual Development in Childhood and Adolescence: Moving to the Scientific Mainstream .Dans E. Roehlkepartain, P. Ebstyne King, L. Wagener et P. Benson (dir.), The Handbook of Spiritual Development in Childhood and Adolescence, Thousand Oaks, Sage Publications : 1-33.

Soulayrol, R. (2006). La spiritualité de l’enfant. Entre l’illusion, le magique et le religieux. Paris: L’Harmattan.
 

Notes

1   Définissons l’imaginaire en tant que: « (…) faculté première, essentiellement créatrice de sens [qui] est l’axe de transcendance chez l’homo sapiens: l’inconscient des profondeurs, source autonome d’énergie archétypale, insuffle un désir d’accomplissement individué (influence jungienne). (…). [Or,] [s]ous la dynamique propre de la symbolique s’organise une posture de sens, c.-à-d. un cheminement de vie spirituelle. » (Laprée et Blouin, 2020, pp. 3-4).
 
2   Pour approfondir ces quelques pistes de réflexion, voici des ouvrages à consulter. Miller (2015) propose aux parents divers conseils utiles pour favoriser de développement psycho spirituelle de leurs enfants et adolescents. Laprée (2017) démontre combien la richesse de la capacité symbolique des enfants peut véritablement guider les adultes à mieux les comprendre en profondeur, puisqu’ils sont déjà porteurs d’une sagesse (voir aussi Laprée et Blouin, 2020).
 



Christian Bellehumeur est professeur titulaire à la Faculté des sciences humaines de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Psychologue clinicien-chercheur (OPQ), il a codirigé L’imaginaire durandien ainsi que Psychologie positive et spiritualité en psychothérapie, aux Presses de l’Université Laval.
 


 


5 octobre 2021

J'ai apprécié ces 3 axes de développement chez l'enfant

Par Agathe Brodeur
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