Quête de sens et maladie






Par Stéfan Thériault – 1er décembre 2016

Cet article souhaite apporter un éclairage sur la maladie comme lieu possible de la quête de sens. L’auteur propose une réflexion sur la maladie comme lieu privilégié de connaissance de soi. Il la situe également comme une possible naissance ne pouvant se réaliser en dehors de notre histoire et d’un réseau relationnel de qualité.

 
Dans son livre admirable, Anthropologie de la maladie, François Laplantine écrivait :

Il ne fait aucun doute que pour notre société, la maladie est une aberration, et cela est tout particulièrement vrai de notre médecine, celle du moins qui nous est à tous la plus familière, dont la fonction est précisément une mise à distance de la maladie par rapport au malade, mais aussi par rapport au médecin, ce qui peut s’accompagner d’ailleurs d’une mise à distance du malade lui-même par rapport au médecin et à la société tout entière1.

 
La vision qui sous-tend une telle affirmation est celle de la modernité qui perçoit l’humain comme une machine, comprend la maladie comme un agent externe intrusif et croit que, grâce à la science, elle pourra réparer les morceaux de la machine en éradiquant le mal qui l’attaque. Dans ce contexte, la maladie est un non-sens, une absurdité qu’il faut absolument maîtriser. Et dans cet idéal de contrôle, se glissent subtilement le droit au bonheur et le rêve prométhéen de la science qu’elle saura trouver la voie de l’immortalité (un monde sans failles).
 
Dans un tel contexte, peut-on encore poser la question de la maladie comme un lieu possible de sens? Plus dramatiquement, est-il légitime de se demander : l’humain malade a-t-il un sens? L’humain malade est-il devenu une honte à cacher ou un coût de trop pour tous ceux qui ont droit au bonheur?
 
Cet article désire jeter une lumière sur l’importance de la maladie comme lieu possible de la quête de sens, dans la mesure où le milieu dans lequel elle se vit soit humain. Nous aborderons cette question du sens aux plans personnel, relationnel et communionnel.
 

La maladie, chemin de naissance à soi

Le premier élément dans la quête de sens tient à la découverte de soi où le sens émerge quand la personne découvre son don et les richesses qu’elle porte, car le premier lieu d’intelligibilité de la vie repose sur ce que la personne est. « Connais-toi toi-même et tu connaîtras lunivers et les dieux », disait linscription du temple de Delphes. Comment la maladie est-elle alors une porte d’entrée en soi?
 
La maladie, d’abord, brise l’univers de toute-puissance de la personne sur sa vie et met en lumière sa condition humaine, fragile et vulnérable, mortelle. Dans ce dépouillement de ses orgueils et de ses suffisances, une question peut surgir : qu’est-ce qui donne sens à ma vie? L’argent, la maison ou la réussite perdront souvent de l’importance au profit de la découverte, pour la personne, d’elle-même et de la valeur de son être et de son don. La maladie devient alors l’occasion d’une naissance, d’une adhésion non à des choses, mais à son être profond. En fin de vie, ce sera la prise de conscience d’un legs d’être laissé à ses proches.
 
La maladie, si elle conduit à la vie, plonge la personne dans le mystère du mal qui a marqué son existence. Par l’abaissement des mécanismes de défense causé par la maladie, la personne voit apparaître des souffrances cachées, des pans enfouis de son histoire blessée. Plus encore, elle touche à un mal d’âme, à un mal profond, un mal spirituel, ressenti comme une rupture intérieure avec la vie. Elle perçoit avec plus d’acuité la conversion qu’elle est appelée à vivre pour entrer dans la vie.
 
Cette prise de conscience devient une expérience fondatrice. En redécouvrant la grâce de la fragilité, en étant dépouillée des masques derrière lesquels elle s’est cachée, en voyant subitement le mal mis à nu, elle décide alors de se détourner des chemins de mort qu’elle a suivis, de s’accorder des pardons et de choisir la vie, en adhérant à ce qu’elle est vraiment.
 
Le sens de la maladie, s’il touche au combat contre le mal, est plus encore l’expérience en profondeur de la vie et le choix de cette même vie. Laissons ici Christiane Singer nous partager son expérience :

Deux mois d’une vertigineuse et déchirante descente et traversée. Avec surtout le mystère de la souffrance. J’ai encore beaucoup de peine à en parler de sang-froid. Parce que c’est cette souffrance qui m’a abrasée, qui m’a rabotée jusqu’à la transparence. Calcinée jusqu’à la dernière cellule. Et c’est peut-être à cela que j’ai été jetée pour finir dans l’inconcevable. Il y a eu une nuit surtout où j’ai dérivé dans un espace inconnu. Ce qui est bouleversant, c’est que quand tout est détruit, quand il n’y a plus rien, mais vraiment plus rien, il n’y a pas la mort et le vide comme on le croirait, pas du tout. Je vous le jure. Quand il n’y a plus rien, il n’y a que l’Amour. Il n’y a plus que l’Amour. Tous les barrages craquent. C’est la noyade, l’immersion. L’amour n’est pas un sentiment. C’est la substance même de la création2.

 
Cette expérience nous démontre que, dans l’expérience de la maladie, nous n’ajoutons pas le sens, il se dévoile au cœur même des expériences vulnérables et dépouillées. Le sens n’est pas la réponse à un pourquoi, il est la Vie qui surgit quand on croit que la mort va nous vaincre. C’est là, pour l’humain, une expérience essentielle, à savoir que le dernier mot de la vie humaine n’est pas la mort, mais la vie. Qu’il faut apprendre à se laisser saisir par elle, déborder par elle, afin de naître à soi-même et devenir un vivant.
 
Pour qu’une telle expérience puisse survenir, pour découvrir cet espace sacré en l’être humain, où la personne est en contact avec Dieu, avec la Vie, avec sa Source, elle a besoin d’être accompagnée. Il ne faut pas sous-estimer le fait que c’est la présence très personnelle d’un autre humain au côté de la personne malade qui permet à celle-ci de découvrir sa propre valeur personnelle, la Présence d’un Autre, et de se découvrir en sa Présence. La relation est donc essentielle.
 

La maladie : un naître ensemble

La modernité nous a trompés en nous laissant croire que l’autonomie est le pouvoir de se passer de l’autre et d’être indépendants de tous. Ce qui permet à un humain de surgir, et ce, dès les premiers instants de la vie, est la relation. Sans un autre qui nous aime, qui nous apprécie, qui nous reconnaît, qui prend du temps avec nous, qui prend soin ou qui nous désire, aucun humain ne peut naître à lui-même. Cette réalité est le secret des soins.
 
Un ami me partageait récemment son expérience vécue avec l’hospitalisation de sa mère : « Durant les trois dernières semaines, ce qui m’a perturbé le plus est que personne ne vous regarde. » Pour qu’une personne humaine puisse guérir, elle a besoin d’être accueillie et considérée comme une personne. Elle ne peut être réduite à une machine dont on répare les morceaux. C’est la qualité humaine de la relation, avec ce qu’elle porte d’amour, de compassion, de tendresse, d’attention, de compréhension… qui est le facteur premier de la guérison, et ce, pour toutes les formes de maladies.
 
On pourrait contester et dire : si une personne a une otite, ce dont elle a besoin ce sont des gouttes antibiotiques. Est-ce si clair? Je me souviens un jour d’une dame qui me racontait qu’en écoutant son corps, elle s’était rendu compte que son otite était liée à des paroles dites qu’elle ne voulait pas entendre et que, dès le moment où elle a osé les écouter, son otite a disparu. Depuis des années, nombre de recherches ont prouvé le lien psychosomatique. Guy Corneau a écrit un livre, Revivre3, pour partager la découverte que son cancer était lié au problème de reconnaissance vécu avec son père.
 
L’individu qui souffre est une personne avec toute son histoire. Si le soignant prend le temps d’entrer en relation et d’écouter, le sens pourra surgir, car l’expérience « humaine » sera possible. Sans cette humanité des soins, l’humain est laissé seul avec le mal et, dans cet isolement que provoque la souffrance, il risque de sombrer dans la mort et lui donner victoire.
 
La maladie a ce don de nous replacer dans le besoin de l’autre, de nos proches, comme des aides-soignants. Elle brise paradoxalement l’isolement que la souffrance a créé dans nos vies et nous place ainsi, dans une position de guérison. Chaque personne, à un certain degré, souffre de ne pas avoir été suffisamment aimée, reconnue, considérée pour elle-même. Si le soignant ne s’arrête pas près de la personne, il creuse le mal d’amour et de reconnaissance, le mal d’âme qui l’habite et ne lui donne pas ce qu’il lui faut pour guérir. D’autant plus que c’est souvent ce mal caché qui est à l’origine de la maladie.
 
L’intuition géniale des soins palliatifs est d’affirmer que la qualité des soins repose sur une qualité humaine de présence et de relation. Cette intuition, en fait, n’est qu’une reconnaissance toute simple de ce qui fait l’humain. Sans la présence et la relation humaines, la maladie est un tombeau et elle ne peut être créatrice de sens. La mort prend alors le dessus sur la vie.
 
C’est là probablement le drame le plus profond de cette nouvelle loi du « Mourir dans la dignité ». Dominique Jacquemin écrivait :

Nous observons tout d’abord la requête d’une mort douce : on peut mourir, souffrir, du moment qu’on se trouve pris en charge par des spécialistes, par des institutions « qui se chargent de cela », mais sans déranger qui que ce soit. La mort ne peut être intégrée dans un horizon d’existence où « tout doit aller pour le mieux! » Derrière pareil constat, nous voyons aussi une fin de vie qui n’est acceptée que d’un point de vue individuel – on respecte les personnes qui doivent vivre cela! – mais la réalité de la mort, de la souffrance se trouve gommée de l’horizon social4.

 
Le rôle du soignant ne peut jamais être de « faire mourir », même dans la dignité; il est de « faire naître à la vie ». Pour ce faire, la relation au malade est fondamentale, car elle est créatrice d’humanité. Elle fait surgir dans le soignant comme dans le soigné ce qu’il y a de plus digne. Elle révèle le sens même de leur humanité.
 
Par la présence, vivre la communion
Les Africains disent qu’il faut un village pour éduquer un enfant. Il faut aussi un village pour soigner. Les soins ne reposent pas seulement sur les soignants, mais sur les proches et sur toute la société. C’est dans le corps à corps du malade et du bien-portant qu’émerge le sens de la maladie et ce sens repose sur l’humanité qu’elle suscite et la communion dans l’amour des êtres. Le sens des soins reposera toujours sur la vie qu’elle protège et fait naître.
 
Dans l’expérience de ce qui semble séparer, se découvre pour le malade et le bien-portant une communion des êtres où la vie circule d’un à l’autre. Plus le soignant fera surgir la vie chez le malade, plus cette vie grandira en lui et favorisera sa propre croissance. Ce qui vainc la mort et crée l’humanité, c’est la vie partagée. Et il y a là quelque chose de divin :

La seule action vraiment humaine, irremplaçable, qu’aucune machine ne pourra jamais accomplir à notre place, c’est celle-là : une présence toute recueillie en son amour et qui le (Dieu) laisse transparaître, et qui, en créant un espace de respect, suscite en l’autre le sentiment qu’il y a quelque chose en lui qu’il n’a pas encore découvert et qu’il va découvrir maintenant parce que, à votre approche, à travers votre visage, il a vu luire le Visage déjà imprimé dans son cœur5.

 
Osons redécouvrir des milieux créateurs d’humanité!
 
1   LAPLANTINE, François. Anthropologie de la maladie,   Bibliothèque scientifique Payot, 1992, p. 242.
 
2   SINGER, Christiane. Derniers fragments d’un long voyage, Éditions Albin Michel, 2007, p. 40-41.
 
3   CORNEAU, Guy. Revivre, Éditions de lhomme, 2010, 307 pages.
 
4   JACQUEMIN, Dominique. Bioéthique, médecine et souffrance, Médiaspaul, 2002, p. 46.
 
5   LATTEUR, Emmanuel. Les Minutes étoilées de Maurice Zundel, Éditions Anne Sigier, 40-42.
 



Stéfan Thériault détient un baccalauréat en théologie de l’Université du Latran ainsi qu’un baccalauréat et une maîtrise en psychologie de l’Université Laval. Marié et père de deux enfants, il fut un des fondateurs du Projet intervention prostitution Québec qu’il dirigea de 1984 à 1986. Par la suite responsable du Centre de pastorale spécialisée du Collège André-Grasset de 1993 à 2001, il est directeur du centre Le Pèlerin depuis ses tout débuts en septembre 2001. Il a publié Revivre comme Lazare en 2016 aux Éditions Salvador.
 





5 mai 2022

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Par Revue Spiritualitésanté
4 mai 2022

J e vous serai reconnaissante de bien vouloir me partager cet article.
Cordialement

Par TITRE
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