Parler des objectifs de fin de vie | une affaire d’équipe






Par Gabrielle Fortin - 1er août 2017

Même si la responsabilité quant à la détermination des niveaux de soins relève des médecins, l’apport, notamment dans des situations difficiles, de l’équipe de soins est incontournable. L’auteure met en valeur la complémentarité des rôles au sein d’une équipe en présentant les rôles respectifs de l’infirmière, du psychologue, du travailleur social et de l’intervenant en soins spirituels.


La détermination du niveau de soins relève de la responsabilité du médecin. Ceci étant dit, elle constitue toujours une décision d’équipe composée minimalement de deux partis, puisqu’elle vise à répondre aux besoins et attentes d’une personne en situation de vulnérabilité. En ce sens, le patient et ses proches sont appelés à jouer un rôle actif dans cette délibération. Dans plusieurs situations, ce processus est également soutenu par l’équipe soignante, ainsi que par le personnel bénéficiant d’un lien de proximité avec le patient et sa famille, particulièrement en présence de situations complexes de détermination du niveau de soins. Prenons l’exemple d’un patient âgé présentant plusieurs comorbidités, sans mandat d’inaptitude, qui est amené inconscient à l’urgence, et dont les proches ne s’entendent pas sur les soins qu’il devrait recevoir. Dans une telle situation, la contribution d’un ou plusieurs autres membres de l’équipe soignante peut s’avérer fort utile pour amener un éclairage supplémentaire à la situation grâce à leur champ d’expertise spécifique. C’est dans cet esprit que cet article traite de l’importance de la collaboration entre le patient, ses proches et les professionnels les plus fréquemment (mais non exclusivement) impliqués dans les prises de décision concernant les objectifs de soins. Il sera question des besoins et attentes de la personne malade, de l’implication des proches et des principaux rôles assumés par différents professionnels en matière de détermination du niveau de soins susceptibles d’aider la triade patient-proche-médecin dans ce processus.
 

Le patient et son projet de vie

Le projet de vie est défini comme une « représentation mentale de la vie que le patient souhaite mener et des moyens qu’il se donne pour y parvenir » (Réseau universitaire intégré de santé de l’Université de Montréal (RUIS), 2014; 16). Le projet de vie sert de guide à l’individu dans l’adoption de ses comportements et de ses choix, et évolue en fonction du temps et des évènements qui marquent son parcours, et ce, jusqu’aux derniers instants de sa vie. Par ailleurs, en fin de vie, il est souvent plus facile d’aborder avec le malade son projet de vie sous l’angle de ses besoins et attentes à court terme, par exemple le soulagement de souffrances physiques, la récupération de la mobilité ou de la communication afin de maintenir une relation avec des proches significatifs (RUIS, 2014).
 
La détermination du niveau de soins implique donc beaucoup plus que de se prononcer sur son désir d’être ou non réanimé advenant une complication de santé. De fait, le nouveau formulaire harmonisé de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) propose quatre objectifs de soins, qui incluent différents soins et interventions s’inscrivant sur un continuum. À l’extrême gauche de ce continuum, le premier objectif vise à prolonger la vie par tous les moyens possibles, même si certaines interventions comportent des risques importants. Le deuxième objectif vise également à prolonger la vie, mais par des soins présentant un niveau d’inconfort et de risque limités. Le troisième objectif, au contraire, vise prioritairement à assurer le confort de la personne par rapport à celui de prolonger sa vie. Enfin, à l’extrémité droite du continuum, le quatrième objectif vise uniquement à assurer le confort de la personne (INESSS, 2016). Pour arriver à se situer, la personne a idéalement besoin d’un temps de réflexion, afin de prendre une décision qui tienne compte de l’ensemble de ses besoins, et que ce choix soit cohérent avec son état de santé. Or, pour que la personne se sente soutenue dans l’ensemble de ses besoins, le soutien de ses proches et d’une équipe de soins ouverte et disponible s’avère essentiel.
 

Les proches

Le terme « proche » fait référence à la personne qui accompagne et prend soin du patient. Il peut s’agir du conjoint de celui-ci, d’un membre de sa famille, d’un ami ou d’une autre personne de son réseau. La décision de l’inclure ou non dans le processus de détermination du niveau de soins relève du patient, si celui-ci est apte à le faire. Lorsque la personne malade est d’accord, la présence d’un proche s’avère fort utile, d’abord parce qu’il prodigue souvent différents types de soutien, tant sur le plan physique, émotif que technique au malade (RUIS, 2014). De plus, le proche peut occuper différents rôles en fonction de la relation qu’il entretient avec le malade. Il peut d’abord assumer les rôles de témoin, d’interprète et de secrétaire pour prendre en note les volontés du malade. Il peut également encourager le malade à poser ses questions à l’équipe de soins, regarder avec le malade ses priorités ainsi que les pendants positifs et négatifs de chaque option s’offrant à lui. Finalement, le proche peut témoigner du soutien au malade en renforçant ses choix (Charles, Gafni et Whelan, 1997).
 
Par ailleurs, un proche significatif impliqué activement dans les soins de la personne malade connaît son niveau d’autonomie, ses aspirations, ses expériences antérieures, ses valeurs et ses croyances. Cette connaissance de l’autre peut s’avérer d’une grande pertinence pour le malade dans ses décisions, mais aussi constituer une aide précieuse pour orienter l’équipe soignante lorsque le patient n’est pas en mesure de consentir à ses soins en raison d’une condition physique ou mentale l’en empêchant (RUIS, 2014).
 

La collaboration interprofessionnelle centrée sur la personne et ses proches

La collaboration interprofessionnelle constitue une orientation de plus en plus prônée par notre système de santé, notamment parce qu’elle est considérée comme un moyen efficace pour améliorer la qualité des soins prodigués dans les institutions de santé lorsqu’une personne vit une situation de santé qui tend à se complexifier en raison de plusieurs besoins qui doivent être répondus (Thistlethwaite, 2010). Or, lorsque la personne est contrainte à faire des choix concernant ses objectifs de soins en fin de vie, elle est appelée à réfléchir en fonction de ses aspirations, ses valeurs, sa dynamique familiale, de variables socio-économiques, son histoire antérieure relative notamment à la maladie et aux traitements, ainsi que ses croyances et pratiques religieuses ou spirituelles. Dans le même sens, les différents rôles sociaux du malade peuvent être remis en question en raison du stress engendré par la maladie. Ces multiples facteurs doivent être pris en considération au moment de déterminer l’intensité des soins en fin de vie (Borgmeyer, 2011). La détermination du niveau de soins relève ainsi d’une démarche difficile, alors que plusieurs éléments présents dans le contexte de la personne malade complexifient le processus de prise de décision.

Considérant la présence de multiples besoins éprouvés par le patient et ses proches en fin de vie, il est nécessaire que les soins soient discutés et prodigués par plusieurs intervenants collaborant selon une approche interdisciplinaire en fonction d’une philosophie commune, tout en respectant le champ d’expertise de chacun (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2008). En ce sens, le guide développé par l’INESSS (2016) vise notamment à montrer la complémentarité des rôles entre les professionnels de la santé en interdisciplinarité en contexte de détermination du niveau de soins. La discussion entourant le choix des objectifs de soins s’effectue souvent dans un contexte où la personne est vulnérable et émotive, c’est pourquoi l’accompagnement par des professionnels dans ce processus s’avère important, entre autres lorsqu’ils sont en état de choc à l’annonce d’un pronostic, vivent de l’impuissance, font face à un conflit de valeurs important, ressentent le besoin d’être validés dans leurs choix, que le lien de confiance avec l’équipe soignante est fragilisé, etc. (INESSS, 2016). Différents professionnels peuvent alors être référés aux patients et à leurs proches, selon leur expertise et leur disponibilité. Le tableau 1 résume en ce sens les rôles des professionnels dans ce processus de décision.

Il apparaît opportun à cette étape de définir plus spécifiquement le rôle de certains professionnels pouvant aider le patient, ses proches et le médecin dans le processus de détermination du niveau de soins1.

Tableau 1 | Illustration de l'interdisciplinarité dans la pratique des niveaux de soins

Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Les niveaux de soins: normes et standards de qualité. Guide rédigé par Michel Rossignol et Lucy Boothroyd. Québec, Québec INESSS; 47 p.
 

Infirmière

L’infirmière joue un rôle déterminant dans ce processus décisionnel, d’une part selon le guide de l’INESSS, qui précise que « l’infirmière ou infirmier assure la continuité des soins tout au long du parcours de soins, notamment en informant le médecin (traitant ou responsable) des besoins du patient et le médecin de garde (y compris le résident) de l’existence d’un niveau de soins » (INESSS, 2016 : 16). D’autre part, l’infirmière bénéficie d’un lien de proximité unique avec le patient, alors qu’elle est la professionnelle qui le côtoie le plus souvent, en plus de participer à ses soins physiques, de jour, de soir ou de nuit. Cette proximité facilite aussi la création d’un lien de confiance propice aux confidences des patients et des membres de leur entourage. Ainsi, l’infirmière dispose souvent d’informations précieuses grâce à ces échanges avec le patient qu’elle peut par la suite transmettre à l’équipe soignante. De plus, grâce à la proximité que lui confère son rôle, l’infirmière est également souvent interpellée par les patients pour éclaircir des questions relatives aux choix qu’ils doivent prendre concernant leur situation de soins.
 

Travailleur social

Le travailleur social intervient régulièrement lorsque la famille est impliquée dans la détermination du niveau de soins. En guise d’exemple, il aide la famille à réfléchir aux soins à privilégier pour leur proche lorsque le patient n’est pas en mesure de le faire en les invitant à se centrer sur la personne, qui elle est, son niveau d’autonomie, ses valeurs et ses aspirations, puis oriente l’équipe en conséquence sur la décision à prendre. Le travailleur social facilite aussi la communication lorsque le malade anticipe la réaction de ses proches quant à ses choix, et aide conséquemment la famille à cheminer dans leur processus d’acceptation. Le travailleur social peut aussi faciliter le processus décisionnel en exposant les options possibles en fonction des ressources disponibles. Enfin, l’expertise du travailleur social peut s’avérer particulièrement utile en présence de conflits entre le patient, la famille et l’équipe soignante pour faciliter la communication entre les différents partis et établir un lien de confiance.
 

Psychologue

Ce professionnel effectue des évaluations psychologiques et intervient auprès de la personne afin de favoriser sa santé psychologique et rétablir sa santé mentale. Il soutient le patient dans son processus de décision à l’égard des objectifs de soins en regardant avec lui sa compréhension de sa situation de santé; il l’aide également à saisir le sens de cette démarche décisionnelle et à identifier les enjeux psychologiques qui y sont associés. Selon les capacités, les ressources et l’énergie du patient, le psychologue peut aussi lui offrir de la psychothérapie et lui enseigner des stratégies d’adaptation afin que le malade soit mieux outillé pour gérer d’éventuels épisodes d’anxiété et de dépression. Le psychologue joue aussi un rôle clé auprès de l’équipe de soins lorsque le patient présente des indices qui suggèrent la présence d’un trouble de santé mentale. Il peut alors effectuer une évaluation permettant de préciser l’état de santé mentale de la personne et suggérer des adaptations à l’offre de soins en conséquence afin de mieux répondre aux besoins du patient (INESSS, 2016).
 

Intervenant en soins spirituels

L’intervenant en soins spirituels intervient auprès du patient lorsque le choix entourant les niveaux de soins suscite chez le malade des questionnements en regard de ses croyances, de ses valeurs, de ses relations, de ses projets et du sens qu’il appose sur l’ensemble de ces éléments. L’implication de l’intervenant en soins spirituels peut s’avérer particulièrement utile lorsque le patient est confronté à des choix pour lesquels ses volontés se heurtent justement à ses croyances, et qu’il ressent le besoin d’être validé dans ses choix. Par exemple, lorsque le patient est ambivalent à l’idée d’arrêter un traitement visant à prolonger sa vie, mais est déchiré par le sentiment de se donner la mort s’il les cesse, cela malgré un grand état de fatigue. L’intervenant en soins spirituels détient dans un tel contexte l’expertise nécessaire pour faire le point avec le patient sur ce qui est le plus précieux pour lui, et le replace conséquemment dans une position de pouvoir agir.
 
En conclusion, la détermination des objectifs de soins est beaucoup plus que la simple complétion d’un formulaire qui doit faire partie du dossier médical d’un malade. Les objectifs de soins concernent la fin de vie d’une personne, et nécessitent qu’on prenne le temps, avec le patient, de faire le point sur sa situation de santé, ses attentes et ses valeurs. S’engager dans une prise de décision partagée, par le biais d’une communication claire, complète, adaptée à la compréhension du patient et teintée de respect, permet au malade de faire des choix qui sont en résonnance avec ce qui est le plus précieux pour lui. De fait, offrir au patient la possibilité de faire des choix en lien avec ses valeurs et ses aspirations permet à celui-ci de reprendre contact avec sa vitalité, puisqu’on lui permet alors une reprise de pouvoir sur sa vie. Enfin, tous les membres de l’équipe de soins impliqués auprès du patient et de ses proches lorsque vient le moment de discuter des niveaux de soins jouent principalement un rôle de soutien. En sollicitant l’aide de ses collègues, le médecin maximise les chances que la personne soit entendue et considérée dans l’ensemble de ses besoins. Par ailleurs, les autres professionnels peuvent faire un dépistage et une amorce de réflexion avec le malade et ses proches, ce qui constitue une aide précieuse pour le médecin, surtout dans un contexte où le temps pour prendre une décision est limité.
 

Références

Borgmeyer, T.(2011). Tiré du chapitre “The Social Work Role in Decision Making : Ethical, Psychosocial, and Cultural Perspectives”. Dans Altilio T. & Otis-Green, S., Oxford Textbook of Palliative Social Work (p. 615-624). Oxford, University Press.
 
Charles, C., Gafni, A. et Whelan, T. (1997). “Shared decision-making in the medical encounter: what does it mean? (or it takes at least two to tango)”. Social Science & Medicine, 44(5), 681-692.
 
Institut national d’excellence en santé et en services sociaux [INESSS]. (2016). Les niveaux d’intervention médicale. Repéré à https://www.inesss.qc.ca/activites/projets/projets/fiche-projet/les-niveaux-dintervention-medicale.html
 
Le Réseau universitaire intégré de santé de l’Université de Montréal. (2014). Guide d’implantation du partenariat de soins et de services, repéré à : http://ena.ruis.umontreal.ca/pluginfile.php/256/coursecat/description/Guide_implantation1.1.pd
 
Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) (2008). Plan directeur de développement des compétences des intervenants en soins palliatifs. Repéré à : http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2008/08-902-03.pdf
 
Thistlethwaite, J. (2010). “Interprofessional education : a review of context, learning and the research agenda”. Medical Education, (46), 58–70.
 

Note

1   La définition des rôles des professionnels s’appuie sur les résultats d’entrevues individuelles et de groupes réalisées auprès de différents professionnels de la santé menées dans le cadre du projet de thèse de l’auteure.
 



Gabrielle Fortin est travailleuse sociale à la Maison Michel-Sarrazin et candidate au doctorat en service social à l’Université Laval, sous la direction de Serge Dumont, professeur titulaire. Son projet de thèse a pour titre Élaboration et évaluation d’une stratégie d’application des connaissances à l’intention des professionnels de la santé confrontés à des situations complexes de détermination du niveau de soins. Ses intérêts de recherche portent sur la collaboration interprofessionnelle, la prise de décision partagée et les soins palliatifs.




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