Pour vous, qui suis-je?





 

Par Martin Vaillancourt, intervenant en soins spirituels
Institut de cardiologie de Montréal - 1er août 2019

Cette question centrale dans les évangiles s’impose de plus en plus dans mon travail auprès des patients et de leur famille que j’accompagne lors d’un parcours de soins en milieu hospitalier. La question n’est pas exprimée ainsi, mais tout converge vers cette interrogation lors du séjour hospitalier : « Qu’est-ce qui m’arrive, docteur? »; « Votre nom, votre adresse, votre date de naissance …? »; « Pourrais-je continuer à travailler? » La personne hospitalisée se retrouve dans un espace-temps où son identité est fortement « questionnée », au sens propre et figuré, en raison de son corps qui se trouve en perte de capacité : malade, blessé, vieillissant ou mourant. À cet état d’être diminué s’ajoute bien souvent une prise en charge hospitalière compartimentée et circonscrite : « l’anxieux dans le 439 », « le triple pontage dans le 340 ». Voici donc la mise en scène dans laquelle se retrouvent un certain nombre de personnes hospitalisées, et ce, bien souvent dans un rôle secondaire. Dans cette mise en scène hospitalière, le script de chaque intervenant de la santé est relativement bien défini, comme celui qu’on attend des patients et de leur famille confrontés à la maladie, éprouvés par la perte, menacés par la mort.
 
Mais qu’en est-il du dialogue intérieur de ces « patients »? Mon expérience me révèle que leur corps en perte de capacité heurte de plein fouet leur identité et leur dignité. Les différentes sphères de leur vie se trouvent ébranlées, certaines sont effondrées ou d’autres amputées : « J’ai tout misé sur le travail pour assurer le nécessaire à ma famille, mais je constate que j’ai négligé ma relation avec eux. »; « J’ai toujours été à la messe et prié. Voilà que Dieu me laisse tomber. »; « J’ai le cœur fini, je ne peux plus faire cinq pas sans être essoufflé, je ne me reconnais plus. »; « Nous avions des projets pour notre retraite et voilà qu’il est mort. » Que ce soit sur le plan personnel ou professionnel ou encore au niveau physique, affectif et spirituel, les points de repère des personnes sont remis en question. Ce qui constituait leurs priorités (valeurs) et fondait leur vision (croyances) de la vie et d’eux-mêmes ne sont plus comme avant pour les guider dans ce nouvel espace-temps insécurisant et sombre.

Comme intervenant en soins spirituels, je constate que ma pertinence s’établit lorsque je suis en relation d’être avec celui qui peine à être. Je parviens à bien prendre soin de l’autre lorsque sa parole arrive dans ma caisse de résonnance et que je lui renvoie son écho à partir de l’espace-temps que je crée par ma posture et ma parole. Cet enjeu d’ouvrir un espace-temps me semble au cœur de notre rôle et il consiste en ce que la parole de l’autre puisse faire son écho à travers des brèches donnant à voir le rameau d’olivier qui peut renouveler l’espoir. Dans les milieux hospitaliers où la gestion de l’espace et du temps est un enjeu prioritaire, il m’apparaît crucial d’ouvrir à l’autre cet espace-temps « d’hospitalité » où il peut sentir, nommer et réordonner son monde intérieur, ainsi que son identité, sans risquer de se faire « enfer-mer » par un « savoir expert » sur lui, qui le définit malgré lui. En faisant ainsi, je crois contribuer, à ma mesure, à l’acte de co-création entre la personne et le Souffle de Vie qui ordonne les chaos pour faire advenir l’Existence, qui traverse le néant pour ouvrir de nouveaux Espaces-Temps de Sens. Pour vous, qui suis-je? Un JE SUIS en devenir!




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