Les points de solitude chez les parents à leur arrivée en néonatologie au CHU Sainte-Justine

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L'’accompagnement de l’intervenant en soins spirituels

Photo de dNguyen
Par Dominique Nguyen – 1er août 2025

En néonatologie, les parents découvrent un univers où l'amour côtoie la peur et l'isolement. L’accompagnement spirituel leur offre alors un souffle d'espérance et de sens.


La néonatologie du CHU de Sainte-Justine est l’une des unités spécialisées des plus grandes dans son domaine en Amérique du Nord. Elle abrite 80 lits dont à peu près la moitié est réservée aux soins intensifs et l’autre, pour les soins intermédiaires. Le passage des familles en néonatologie est un chemin rempli de défis, d’incertitudes et de bouleversements inimaginables chez les bébés prématurés ainsi que dans les vies des mères et des pères qui sont auprès d’eux. Bien que les patients et leur famille soient entourés des équipes de soins, ils passent forcément par des temps d’isolement, de stress et d’inquiétude liés à l’évolution de leur bébé. À l’arrivée des familles en néonatologie, nous allons ici nommer les deux premiers points qui marquent ces temps de « claustration » et en quoi les soins spirituels peuvent contribuer d’une manière constructive à l’adaptation des parents.

Le choc de la nouvelle

Le premier point dans la chronologie entourant la naissance qui peut causer un sentiment d’isolement est le choc de la mauvaise nouvelle : « C’est là que le médecin, à la suite de notre écho de 20 semaines, nous a annoncé qu’il y avait un pépin avec bébé… », dit une mère. Une autre nous dit : « Tout était beau aux échographies et c’était la surprise totale à la naissance : nous n’étions pas préparés… ». Le choc a créé chez elle un semblant de « gel » et d’engourdissement. Elle nous dit être atterrée et égarée devant la nouvelle. Le fait de ne plus retrouver son chemin la sépare de tout en la plongeant dans un inconnu parfois insupportable. « Comment notre entourage peut-il nous comprendre si nous ne comprenons pas nous-mêmes ce qui se passe ? », dit le père. Le premier point d’isolement et de solitude se manifeste dès lors. Une des pistes d’ouverture dans de tels cas est d’aider la personne à toucher les premières dalles de pierre de cette route inconnue sur laquelle elle a été projetée. Les soins spirituels vont aider ces parents à nous ramener aux événements précédant le choc pour reconstruire de leurs propres mots leur histoire : « Ramenez-moi au temps de la grossesse, comment ça s’est passé ? », « Ç’a dû être quelque chose de remarquer le silence de la technicienne durant l’échographie… comment reçoit-on la nouvelle du médecin comme parents ? ». Tout en gardant une posture d’écoute active et centrée sur le ressenti des parents, nous pouvons les aider à mobiliser des images symboliques comme reconnaître et remettre ces « dalles de pierres » sur une route reconnue maintenant comme la leur. Cela leur permettra de mieux voir ce qui revient au passé, au présent et à ce qui reste à espérer (sens) pour les prochains jours. Les parents regagnent leur histoire et leur parole et se sentent accueillis dans leur sentiment personnel : « Je sens que l’équipe comprend mes inquiétudes. Je peux espérer alors ne plus être seul, car l’équipe avance avec moi dans la même direction pour le bien-être de mon bébé », nous affirme la mère.
 

La remise en question de l’identité parentale

Quand un bébé prématuré ou extrême prématuré (23 à 29 semaines de gestation) est hospitalisé, il est accueilli du côté des soins intensifs néonataux. Puisqu’il a besoin de temps pour continuer à se développer, il y reçoit les soins et les supports respiratoires et nutritifs nécessaires. Si le bébé devait être pris en charge rapidement après l’accouchement, le « vrai » temps de la première rencontre se fait en néonatologie. Nous rencontrons un papa poussant sa conjointe en fauteuil roulant, car elle récupère de sa césarienne d’urgence. Ils vont à la rencontre de leur bébé né à 26 semaines de gestation et qui se trouve dans un incubateur, lié par des fils de toute part et entouré d’une équipe de soins qui s’active autour de lui pour le stabiliser : « Qu’est-ce que je peux faire comme parent ? Elle est où ma place ? Je ne veux pas déranger… Je ne me sens pas mère, je n’ai pas accès à mon bébé comme je le voudrais, les infirmières semblent connaître mon bébé plus que moi… », lance la mère. Ce sont toutes des réactions que nous entendons très souvent où les parents remettent en question leur identité. Être « exilés » de l’entourage de bébé, crée un sentiment de solitude et de recherche d’identité de « mère » et de « père ». L’intervenant en soins spirituels (ISS) aura le rôle crucial d’écouter sans jugement. Il évitera de rappeler trop vite aux pères et aux mères qu’ils sont objectivement les parents de leur bébé. Il aura le courage de refléter les émotions et les sentiments de déception, de perte d’identité et même d’affection pour leur bébé sans les devancer dans leur guérison. Les parents entameront à leur façon le processus de construction de ce lien affectif primordial et identitaire. Dans ce cas-ci, nous pouvons souligner ce que les parents font peut-être déjà : ils se font présents, ils ont la possibilité de mettre les mains dans l’incubateur pour toucher bébé, ils peuvent lui parler, profiter dès que possible du fameux « peau à peau » ou du « kangourou » qui est très bénéfique pour le bébé, pour son développement, mais aussi bienfaisant pour le parent : « Je me sens en contact et au diapason avec mon bébé, je réalise la valeur de ce cadeau venu du Ciel, c’est un moment magique, j’ai peur, car bébé semble si petit et fragile, mais je suis content de le faire… », partage la mère.
 
L’ISS peut aider les parents à prendre conscience de leurs propres souhaits, soit de commencer un journal, de prendre des photos, de souligner plus intentionnellement les premières fois de bébé, d’initier des réflexions sur l’investissement de la décoration de la chambre (objets symboliques, spirituels, dessins et cadeaux de la fratrie, etc.) pour la rendre plus à leur image. À la demande des parents, il sera aussi possible de faire un rituel d’accueil pour le bébé préparé de concert avec la famille. Il s’agira d’un geste spirituel où les parents passent du sentiment d’exil et d’exclusion solitaire à l’intégration de leur vie à celle de leur bébé et de celui-ci à la leur.
 
Le séjour en néonatologie n’aurait fait que commencer. Dû à leur grande prématurité, les bébés peuvent rencontrer des embûches, des régressions et des reprises. L’un des repères que l’équipe donne aux familles pour envisager une fin à leur passage avec nous est la date prévue de l’accouchement. Celle-ci ne reste qu’un repère imprécis et tout dépend de l’évolution et du rythme de bébé. Les premiers points tels que celui du choc de la nouvelle et de la perte d’identité des parents sont des moments où la solitude peut être vécue d’une manière intense et marquée. La présence des soins spirituels est un réconfort pour les familles qui veulent se relever des heurts et des dépossessions identitaires qui les guettent. Elle donne un espace où les parents se recréent, se redécouvrent dans leur capacité les plus profondes et existentielles pour continuer à aimer malgré les fragilités.
 



Après des études en philosophie et en théologie à Ottawa, Dominique Nguyen a poursuivi ses études pour une seconde maîtrise en théologie et science des religions avec une spécialisation en santé et spiritualité à l’Université de Montréal. Il a complété le stage de formation en soins spirituels accrédité par l’Association Canadienne des Soins Spirituels. Il a ensuite œuvré à l’hôpital régional de Lanaudière, à l’hôpital Pierre-Le Gardeur ainsi qu’au Centre Multivocationnel Claude-David en tant qu’intervenant en soins spirituels. Il est maintenant assigné principalement à l’unité de néonatologie au CHU Sainte-Justine. Pour l’Université de Montréal, il est présentement répondant clinique pour les stagiaires en soins spirituels et il est interpellé comme personne-ressource pour le cours d’éthique clinique du programme de bioéthique.


Commentaires



 

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3 août 2025

Je n'avais jamais pensé à l'impact sur les parents d'un enfant prématuré. Merci et je vois que les soins spirituels peuvent être offerts en toute situation

Par Agathe Brodeur

Dernière révision du contenu : le 29 juillet 2025

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