La rencontre de l’autre, des autres et de l’Autre



Par Michel Delorme, intervenant en soins spirituels – 1er décembre 2016
Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale
 
Comme vous depuis ma naissance, j’ai rencontré une multitude de personnes. Certaines rencontres – famille, amis, éducateurs, collègues, etc. – ont été marquantes et déterminantes à plusieurs niveaux dans mon cheminement personnel.
 
Il y a environ 24 ans, j’ai rencontré le chef du service de soins spirituels de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus de Québec qui m’a proposé un stage en pastorale clinique. Ce que j’ai intégré durant ce stage clinique de douze semaines en milieu de santé m’a interpellé et a orienté ma vocation comme intervenant en soins spirituels. J’emploie le mot « vocation », puisque pour moi, mon travail est plus qu’une carrière.
 
Dans ce court texte, je désire partager avec vous mon expérience des 24 dernières années comme intervenant en soins spirituels auprès des personnes malades. Des rencontres où nous sommes deux : l’une souffrante et l’autre qui accompagne… La personne malade, fragilisée, vulnérable, qui me dit des choses essentielles de sa vie… La rencontre avec la personne confrontée aux questions de sens de la vie, de la maladie, de la finitude, de la mort… Parfois cette rencontre peut être difficile à établir, avec de longs et lourds moments de silence. Vivre ces rencontres, c’est permettre à la personne de parler d’elle-même, « de sa vie telle qu’elle la voit, la ressent et la dit maintenant ». La rencontre avec la personne malade implique très souvent la rencontre avec son entourage – sa famille, ses proches, ses amis.
 
Dans les premières années comme intervenant en soins spirituels, j’ai travaillé en milieu hospitalier de courte durée et de soins de longue durée. Depuis 1999, je travaille particulièrement avec des personnes en fin de vie au CLSC Haute-Ville-des-Rivières de Québec où je suis membre de l’équipe interdisciplinaire de soins palliatifs. Des centaines, sinon des milliers de rencontres ont marqué ma profession comme intervenant en soins spirituels; je désire vous en partager trois, pour mieux vous en faire saisir les impacts.
 

Trois rencontres – trois accompagnements

C’est une dame de 77 ans, référée par un collègue l’ayant accompagnée dans un centre hospitalier où elle a été soignée quelques semaines à l’automne. Elle doit retourner à domicile fin novembre et désire poursuivre cet accompagnement dans cette dernière étape de sa vie. Pour moi, c’est ma première référence en soins palliatifs à domicile. Dès notre première rencontre, madame décrit bien son état de santé et désire se préparer à mourir. Elle aime la vie et lui voue une grande confiance. Ses enfants et les autres membres de sa famille sont proches d’elle dans cette étape. Le jour de son anniversaire de naissance, une fête est organisée avec sa famille. Elle demande à recevoir le sacrement de l’onction des malades cette journée-là, puisque pour elle, c’est une fête de se savoir aimée de Dieu et des membres de sa famille. Madame dira souvent « Que c’est beau la vie! », ceci évoquant pour elle comme pour moi la chanson de Jean Ferrat. Madame est décédée entourée de sa famille un soir d’hiver.
 
C’est un homme de 47 ans qui communique directement avec moi. Il me dit au téléphone « J’ai lu votre dépliant expliquant votre accompagnement dans la pochette du CLSC, je voudrais vous rencontrer. Je suis déjà accompagné par un psychologue, mais il y a une dimension importante que je désire aborder avec vous. » Monsieur ne comprend pas ce qui lui arrive : « pourquoi moi? Qu’est-ce que j’ai fait pour avoir ce cancer? Je suis trop jeune pour mourir. J’ai deux jeunes enfants. » Durant presque neuf mois, à raison d’une fois par semaine, nous allons vivre des rencontres profondes. Nous allons aborder plusieurs thèmes en lien avec sa spiritualité : la vie, ses croyances, l’espoir, les relations avec les autres et avec Dieu, ses valeurs et son ouverture à la transcendance. J’ai utilisé dans l’accompagnement plusieurs parties du livre Mourir en vie! Les temps précieux de la fin de Jean Monbourquette et Denise Lussier-Russel. J’ai laissé souvent à monsieur une copie du thème que nous avions abordé durant la rencontre, lui permettant ainsi de poursuivre ses réflexions. Le jour de son décès, une rencontre était prévue. Sa conjointe m’informe que monsieur est décédé durant la nuit, en me disant : « chacune de vos rencontres lui a fait du bien, il men parlait et cela la sûrement aidé à apprivoiser sa mort ». Monsieur est décédé au début dune nouvelle année.
 
Finalement, voici un homme de 69 ans qui m’a été référé juste avant la période des fêtes. Je le rencontre une première fois le 23 décembre. Il vit une grande période de découragement et de « détresse spirituelle ». Nous allons vivre trois rencontres intenses et signifiantes. Monsieur connaît bien sa situation de santé. Il doit être hospitalisé à la mi-janvier et subir une intervention chirurgicale délicate. Le médecin ne lui a pas caché les risques de l’intervention. Il sait qu’il a de fortes chances de ne pas s’en sortir. Il a fait un « passage intérieur », se préparant à vivre cette opération avec confiance et espérance. C’est au début de février que monsieur est décédé suite à sa chirurgie.
 
La rencontre est possible et s’établit. Dans ces accompagnements, il s’agit de trouver les mots justes, puisque chaque rencontre est unique. Elle « sera féconde si ce qui est dit a du sens ». Chercher avec l’autre ce qui peut lui apporter l’espérance et la paix. J’aime cette citation de Nicolas Pujol lorsqu’il parle des compétences particulières que doivent avoir les intervenants en soins spirituels pour reconnaître l’expérience spirituelle en temps de maladie; il en donne quelques exemples :

« ... accueillir un questionnement; prendre le temps d’être présent pour qu’une parole émerge; accepter un désespoir, sans nécessairement le «pathologiser»; permettre à une personne de partager son vécu, son expérience; entendre quelqu’un dire avoir trouvé un sens à sa vie ou, au contraire, l’avoir perdu; souscrire par moments à l’absurdité de l’existence telle qu’elle se rencontre parfois au détour de situations complexes; être attentif aux symboles, aux métaphores, au langage poétique, philosophique ou religieux; admettre, dans le contexte de la fin de vie, que l’on peut vouloir en finir ou, au contraire, se sentir profondément heureux et en paix; s’ouvrir aux préférences concernant la fin de vie; parler de la mort; être là, sans rien dire ou rien faire; se rendre disponible » (Pujol, N. « Entre reconnaissance et responsabilité », Les Cahiers francophones de soins palliatifs).

 
L’accompagnement repose sur l’acte de vivre, comme le dit très bien François Rochat, une « rencontre à deux qui devient rencontre à trois. La découverte commune de la présence du Tout Autre. […] Il devient clair que la rencontre daccompagnement spirituel est bel et bien une rencontre à trois, qui ouvre à une communion à trois : tu, je, il; toi, moi, Dieu, triple présence écoutante et parlante où chacun est totalement engagé, avec douleur peut-être. Chacun y joue sa partition… » (Rochat, F. La crise de guérison).

Chaque rencontre est pleine de sens, d’espérance et de dignité. C’est ainsi qu’évoluant avec ces personnes, toutes, comme le dit L. Perrin, « racontent leur vie pour que l’histoire de leur maladie y trouve une place et un sens, et pour qu’elles-mêmes y trouvent leur dignité ». (Perrin, L., Guérir et sauver).
 



Le Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) assure le fonctionnement au quotidien des services de soins spirituels répartis dans plus de 30 sites du réseau de la santé et des services sociaux de la ville de Québec et de ses environs. Il est constitué d’une quarantaine d’intervenants et d’intervenantes en soins spirituels.

Le CHU de Québec-Université Laval est l’établissement fiduciaire. À ce titre, il a la responsabilité d'administrer les ressources humaines et financières du CSsanté.




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