Les sons qui éveillent l’âme



Par Marana Saad — 1er avril 2024

Cet article explore la capacité transformatrice de la musique au-delà de son rôle auditif, la considérant comme un langage universel capable d’éveiller les émotions, de transcender les barrières culturelles et d’offrir des bienfaits thérapeutiques. L’auteure exprime son opinion sur l’impact profond de la musique sacrée sur le bien-être spirituel. Saad illustre comment la musique, en tant que phénomène vibratoire, modifie non seulement l’état individuel, mais aussi celui de la société, témoignant ainsi de la puissance des mélodies à rétablir l’harmonie dans notre monde.

 
Parler des mélodies et des sons joue un rôle bien plus vaste que l’agrément auditif ; c’est parler d’un langage universel qui vibre, transcende les barrières culturelles, éveille des émotions et offre des soins thérapeutiques remarquables ! Au-delà de l’art de combiner des notes et de rythmer des mélodies, la musique possède un pouvoir transformateur sur le bien-être de toute personne, surtout lorsqu’elle est utilisée dans un contexte sacré. Elle peut ainsi créer une expérience spirituelle unique et profonde.
 
Cet article est une invitation à une réflexion plus intime envers la musique, et plus spécifiquement envers le chant sacré, mettant en relief la connexion profonde entre les sons et le bien spirituel. Il dévoile ainsi la manière dont ces vibrations peuvent équilibrer notre être, réjouir notre âme et favoriser une guérison intérieure. Dans cet article, nous explorerons l’impact puissant du chant et des mélodies sacrées sur notre être intérieur.
 

Musique sacrée, traditions et connexions spirituelles

La musique sacrée a une longue histoire, remontant aux temps anciens où elle était utilisée dans les rituels religieux. Les premiers chants religieux étaient souvent des mélodies simples chantées par les communautés monastiques et les fidèles. Ces chants avaient pour but d’élever l’esprit et d’exprimer la dévotion et la gloire de Dieu.
 
Selon Alexandre Vandel, la qualification « sacrée » des mélodies associées à une fréquence fait référence à la notion que celle-ci est considérée comme unique, significative ou ayant des propriétés particulières sur le plan spirituel, énergétique ou thérapeutique. Il est important de noter que la fréquence dite sacrée peut varier en fonction des croyances, des traditions ou des pratiques individuelles. Ce terme est utilisé pour mettre en avant le potentiel particulier d’une fréquence et l’importance qui lui est accordée dans un contexte donné. Il convient de l’aborder avec ouverture d’esprit et discernement, en reconnaissant que chaque personne peut avoir une interprétation différente de ce que signifie réellement une fréquence sacrée […] c’est une fréquence favorable pour le Vivant, c’est-à-dire biogénique. (cf. A. Vandel, Explora Sounds, fréquence sacrées : les fréquences méconnues, 16 juillet 2023)
 

Chant sacré et croissance

Au fil du temps, la musique sacrée a évolué pour inclure des formes plus complexes telles que les oratorios, les messes, les requiem, les motets et tant d’autres formes. En tant que cheffe de chœur et d’orchestre, j’ai eu l’opportunité de vivre de nombreuses expériences à la fois musicales et humaines. J’ai aussi eu la chance de diriger des œuvres majeures de la musique sacrée, qu’il s’agisse du rite oriental ou latin, et ce dans plusieurs langues, telles que la messe de Palestrina, l’oratorio de Noël de Bach, le requiem de Saint-Saëns, la Gloria de Vivaldi, l’oratorio « Jésus fils de l’homme » de Gibran Khalil Gibran composé par I. Kanaan, et tant d’autres expériences à travers lesquelles j’ai pu vivre les effets de la musique sur chaque individu. Ces compositions représentent de véritables trésors musicaux, offrant une richesse humaine, théologique et spirituelle. Chaque répétition et chaque interprétation de ces œuvres ont été des moments d’apprentissage et de développement, non seulement sur le plan spirituel, mais surtout sur les plans intellectuel, culturel et social.
 
Outre la fonction biologique et sociale dans l’évolution adaptative de l’homme, il est indéniable que les mélodies sacrées ont été utilisées, dès le départ, pour l'instruire, l’aider à prier et à exprimer sa foi. Néanmoins, avec l’évolution, la musique chorale est devenue de plus en plus utilisée pour stimuler les fonctions intellectuelles ou cognitives et développer l’intuition et la sensibilité. En effet, rejoindre une chorale capte l’attention, développe l’esprit critique et créatif chez l’homme, encourage son imagination ainsi que sa discipline personnelle, et suscite sa libre pensée. Dès qu’une musique résonne, les esprits s’alignent sur une même tonalité, un même mot et un même état d’esprit, cherchant ainsi à atteindre l’Absolu, voire le divin.
 




Une expérience collective de spiritualité

Après plus de quinze ans d’expérience avec des chorales d’enfants et d’adultes, à mon sens, le chant sacré, surtout dans les chorales, est un facteur intracommunautaire et/ou intercommunautaire. Cette pratique fait la promotion de la coopération et du travail en groupe et constitue un fait social par excellence. Elle est un espace d’éducation, d’harmonisation et de rencontres. En effet, le chant choral et paroissial renferme en lui-même autre chose que des techniques. La chorale, dimension humaine et sociale du domaine musical, est représentative et symbolique dans ses relations. Elle est une référence spatio-temporelle et incarne le langage de l’affect, traduisant un moment vécu en l’expression sonore d’un sentiment.
 

Source d’énergies

La visite de quinze chorales au Liban a été perçue comme une expérience exceptionnelle, qui s’est déroulée en parallèle de ma mission chorale. En arrivant à la porte de chacune de leurs salles, une énergie de groupe très belle et profonde, irradiant dans l’espace environnant, était immédiatement perceptible. Cette ambiance observée et ressentie correspondait notamment à ce que Dante aurait pu décrire : « plus il y d’âmes qui résonnent ensemble, plus grande est l’intensité de leur amour, car, tel un miroir, chaque âme reflète les autres » (P. Charles, Dante et la mystique, Revue néoscolastique de philosophie, vol. 23, issue 90, 1921, p. 121-139).
 
En effet, le groupe est composé d’ondes énergétiques, nées à partir des sons, des émotions, des expressions et des énergies corporelles des voix (R. Gass, K. Brehony, Chanter ou l’art de mieux vivre, Paris Dervy, p. 184). Ces ondes influencent notre respiration et notre dynamisme. Voilà pourquoi plusieurs personnes pleurent lors des concerts et des représentations, simplement à cause de cet impact de l’espace choral chargé d’émotions, de sons et d’expressions. Ce champ d’énergies est semblable à un organisme vivant et n’est jamais exactement le même, car il est influencé par des stimuli internes et externes. Il est presque magique dans la mesure où il détient l’extraordinaire pouvoir de transformer rapidement et de façon prévisible le champ d’énergie de tout un groupe, le faisant passer d’un état à un autre. Nous pouvons alors nous demander comment fonctionne cet organisme vivant.
 
L’approche synchronique de l’ensemble permet de se référer à plusieurs thèmes auxquels les choristes se rapportent. Nous débuterons par la découverte de soi et du bien-être personnel, pour nous concentrer ensuite sur la cohésion et le lien avec autrui malgré les différences de genre, de régions, de cultures et d’appartenances socioprofessionnelles, le tout en vue d’atteindre une harmonie sociale résonnante et énergétique.
 

Élever l’âme et éveiller les émotions

Quand on travaille sa voix, on apprend à se connaître, car tout parle : le corps, l’intention, le souffle, les effets soniques, l’esprit, etc. Selon un de mes choristes à Philokalia : « le travail vocal engendre le bonheur et élève l’esprit. Il s’effectue dans un contexte qui n’est pas uniquement technique, mais aussi relationnel et affectif » disait Marianne Bargiel, dans « Prélude à la neuropsychologie de la musique et de l’émotion » (cf. Revue canadienne de musicothérapie, vol 7, no1, 2000, p. 10-18). En apprenant à maîtriser leurs voix, à les façonner dans leur propre tessiture, à les connaître et à les accorder aux autres voix pour obtenir une transcendance sonore, loin de toute sorte de nuisances bruyantes, les chanteurs ou les choristes peuvent parvenir à un résultat d’une extraordinaire richesse. Plusieurs de nos choristes doivent au chant et à la musique chorale, certains des moments les plus émouvants de leur vie. Ils racontent que durant plusieurs répétitions et concerts, ils ont souvent eu les larmes aux yeux, ils se sentent aussi excités et contents. Ils créent ainsi des rapports exceptionnels avec leurs collègues et en même temps avec le public. Carine Klein-Dallanti exprime également cette idée lorsqu’elle écrit : « la chorale représente une fusion idéalisée qui permet aux membres du groupe de vivre des moments magiques où ils se réjouissent d’être ensemble et partagent des expériences de vie en dehors du chant ». (C. Klein-Dallant, Voix parlée et chantée, autoédité, Paris, 2006)
 
En outre, les harmonies et les paroles, soigneusement agencées, détiennent le pouvoir de susciter les émotions qui transcendent le langage parlé. Des mélodies joyeuses peuvent élever l’esprit, des mélodies calmes peuvent éveiller les émotions allant de la prière à la contemplation, tandis que des harmonies célestes peuvent encourager la réflexion et l’extase. Que ce soit à travers une chorale, une symphonie orchestrale ou un chant sacré traditionnel, les mélodies divines s’entrelacent avec nos émotions, nous invitant à explorer la richesse de notre monde intérieur.
 

Équilibre, alignement et effets sur la cohue

Quand la musique résonne au plus profond de chaque individu, elle élève de nombreuses difficultés et suscite un sentiment d’équilibre et d’harmonie spirituelle. Les traditions de plusieurs cultures et religions à travers leurs répertoires sacrés offrent des voies variées vers la recherche de la paix intérieure. Que ce soit à travers des psaumes, des hymnes ou des cantiques, les mélodies deviennent un outil précieux pour atteindre un état de bien-être spirituel et un voyage intérieur. C’est dans cette tranquillité que l’âme peut se régénérer, se reconnecter avec son essence profonde et trouver la paix dans le tumulte du quotidien.
 
Dans un monde envahi par la technologie et la mondialisation comme le nôtre, la musique devient de plus en plus indispensable et le chant répond à un besoin, car il nous procure un simple apaisement. Cet acte de communication affective et partagée nous rend plus épanouis par l’intermédiaire des voix et offre à la société un miroir sonore dans lequel peut contempler l’image de la vraie unité d’un groupe. La chorale, par exemple, est un lieu où nos choristes vivent de grands moments de fraternité, d’amour, d’épanouissement et de solidarité. Ces vertus ont été évoquées comme remède à la solitude et à la timidité, car le chant permet de surmonter cette timidité en encourageant l’interprétation et l’exécution devant un public. De plus, cette pratique ne se limite pas aux contributions psychologiques et éducatives ; elle peut également avoir une dimension thérapeutique.
 

Soins thérapeutiques et guérison

La capacité de guérison émotionnelle des notes réside dans le processus de production sonore qui nécessite l’utilisation d’un instrument parfaitement accordé. Or, l’instrument de la voix est notre corps en sa totalité. Dans la psychophonie, le son se produit lorsqu’une personne chante, on perçoit alors toutes ses tensions. On doit ainsi travailler sur la voix pour la libérer selon la fondatrice de la psychophonie Marie-Louise Aucher, musicienne et cantatrice qui a découvert des concordances vibratoires entre les sons et la colonne vertébrale : « à chaque son correspondrait une partie du squelette » (M.-L. : Aucher, L’homme sonore, éd. Desclée de Brouwer, Paris, 1983). Cependant, les mélodies sacrées agissent comme des baumes pour les âmes blessées ou fatiguées, offrant réconfort et consolation. Lorsque les notes résonnent en harmonie avec nos émotions, elles peuvent aider à cicatriser les blessures internes, octroyant un espace de guérison nécessaire pour l’épanouissement humain et spirituel.
 

Mélodies et rassemblements

La musique peut être considérée comme l’une des rencontres musicales incontournables, en particulier lors de festivals et rassemblements, par exemple Noël qui se célèbre chaque année. Ces événements offrent un espace propice au dialogue entre les cultures musicales populaires et sacrées du monde entier, dans un esprit humaniste de partage, d’échange et de compréhension mutuelle. Lorsque des mélodies venues des quatre coins du monde résonnent à travers un festival, tel que celui de Noël que nous organisons à Philokalia, elles créent une atmosphère unique de diversité et d’ouverture d’esprit. Les festivals musicaux rassemblent des artistes de différentes origines, chacun apportant leurs traditions et leur héritage musical. Cela établit une occasion privilégiée d’explorer et d’apprécier les multiples facettes de la musique et des cultures. Ces rassemblements sont alors l’incarnation de l’unité dans la diversité.
 
En conclusion, ce trésor a permis à de nombreux individus de développer leur sensibilité et leur épanouissement, de devenir plus responsables et bienveillants, tout en nouant de nouvelles amitiés à travers de multiples rencontres.
 
Durant ce voyage musical, nous avons pu prendre conscience que l’interprétation musicale est dotée d’une dimension qui dépasse le simple chant spirituel et la pratique vocale individuelle ou collective. En effet, les mélodies sacrées sonnent et résonnent par l’attirance mutuelle de toutes les voix qui les chantent. La résonance est le fruit de ces rencontres collectives et harmonieuses. C’est grâce à la voix qu’il est possible de relier l’intérieur à l’extérieur. Les mélodies sacrées rétablissent l’harmonie, elles deviennent une voie d’épanouissement physique et psychique.

Enfin, cet article démontre que la musique modifie l’état vibratoire non seulement de l’individu, mais aussi de la société. La réunion de plusieurs sons et voix, lors des répétitions ou des concerts, émet des vibrations et une forme d’énergie positive et croissante de sorte que toute personne, émettrice ou réceptrice, profite de ses effets. Plus la musique est expressive, harmonieuse et communicative, plus elle est porteuse de bienfaits et de contributions. Chaque voix est invitée à vibrer son corps, son cœur et le cosmos.
 
L’ensemble des cordes vocales, unies et réunies, transmettent sans le savoir le chant secret de l’univers premier, qui émet, par le miracle de la vie, son rayonnement vibratoire fossile rescapé de l’explosion originelle…
 



Fondatrice et présidente de l'Organisation et de l'Institut de Philokalia, Marana Saad est titulaire d'un doctorat en théologie de l'Université Saint-Anselme de Rome et d'un doctorat en musicologie de l'Université du Saint-Esprit de Kaslik. Elle détient également un Certificat Exécutif en Gestion Stratégique et Leadership de l'Université George Washington, comme elle a suivi une formation en Sensibilisation à la Musicothérapie à l'Institut de Musicothérapie de Nantes (France). Elle enseigne la théologie et la musicologie dans diverses institutions et universités. Depuis 2022, elle est membre de la Commission nationale libanaise pour l'UNESCO. Saad a étudié la direction de chœur avec le renommé Maestro Walter Marzilli au Pontificio Istituto di Musica Sacra de Rome. En 2010, elle a fondé la chorale Philokalia (précédemment connue sous le nom du Chœur de l'Institut Sainte Rafqa), puis les ensembles vocaux « Hymnos » et « Ashtar » en 2021, avec lesquels elle s’est produite à travers le monde, des scènes françaises aux échos américains, en passant par l'Italie, la Pologne, l'Allemagne et Chypre.




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