Jusqu’à ce que la recherche permette d’enfin mettre un nom sur les maux qui l’affligeaient, les hospitalisations de plusieurs semaines se sont enchaînées durant toute l’enfance de Marie-Claude Létourneau. Petite fille à la santé fragile, malentendante, Marie-Claude caressait le rêve de devenir médecin. Encore aujourd’hui, quand elle en parle, elle s’anime; on voit bien que c’est son cœur qui parle. Malheureusement, ce rêve ne s’est jamais concrétisé. Le conseiller en orientation de son école a été très clair avec elle : à cause de son handicap, ça n’arriverait jamais.
« J’ai tellement, tellement pleuré! Ma mère a cherché à m’attirer vers autre chose et c’est comme ça que je me suis retrouvée à faire du travail de bureau. » De fil en aiguille, Marie-Claude s’est construit une belle carrière comme agente administrative à Montréal et est devenue maman. C’est à ce moment qu’elle a décidé de recevoir un implant cochléaire. Il faut savoir qu’une telle intervention comporte des risques, mais comme elle l’explique simplement, « je voulais pouvoir entendre la voix de ma petite fille. »
Sa famille baigne dans le monde médical. Sa fille, devenue grande, s’inscrit à l’Université Laval en neuropsychologie. « J’étais sous le choc de voir ma fille partir loin de moi. Ma fille, à Québec! J’ai réfléchi une semaine, deux semaines, puis j’ai pris ma décision : je déménage moi aussi à Québec! »
C’est l’équipe de la Santé des travailleurs du CHU de Québec-Université Laval (CHU), en recevant sa candidature, qui a vu une opportunité pour Marie-Claude à l’Unité de retraitement des dispositifs médicaux (URDM). « Quand j’ai vu "stérilisation" dans la description de tâches, ça a tout de suite capté mon attention! » À défaut d’être médecin, elle pourrait contribuer aux soins.
Pour son gestionnaire, Charles Poulin-Moore, intégrer Marie-Claude dans l’équipe demandait certainement des accommodements et de l’ouverture, mais il ne voyait pas ça comme une montagne. Au contraire : c’était l’occasion de recruter une paire de bras de plus dans son équipe!
Entre alors en jeu Jean-Philippe Bamba, du Service de prévention et mieux-être au travail (SPMET). Kinésiologue de formation, ancien athlète du Rouge et Or, cofondateur d’une clinique multidisciplinaire spécialisée auprès d’une clientèle en détresse, Jean-Philippe est un intervenant avec un solide bagage. Avec sa collègue Carolina Lopez, qui a choisi le CHU tout récemment, il a analysé les futures tâches de Marie-Claude afin de déterminer si elles seraient sécuritaires malgré la surdité de cette dernière. Ils ont « marché à travers ses processus », évalué ses trajectoires, ses tâches, puis ont identifié des actions à poser.
Ils ont ensuite intégré Marie-Claude dans la démarche, accompagnée d’une interprète qui la soutient depuis longtemps. Elle aussi a fait le circuit pour identifier les risques qu’elle voyait, pour faire part de ses commentaires sur les éléments identifiés par le SPMET et, surtout, pour contribuer à la recherche de solutions. Selon Jean-Philippe, « c’était sécurisant pour elle de participer à la démarche, de pouvoir elle-même identifier ce qu’il fallait adapter, et c’est rassurant aussi pour le gestionnaire de voir la personne s’impliquer dans le processus d’accommodements. Quand tu vois quelqu’un qui veut comme Marie-Claude, qui est prête à recevoir les enjeux avec ouverture, ça rend tout le monde confiant. »
De la signalisation et des miroirs ont été installés afin que Marie-Claude soit en mesure de voir les gens circuler quand elle doit transporter des chariots jusqu’au bloc opératoire. Sa chef d’équipe et son gestionnaire portent des masques de procédure avec fenêtre pour interagir avec elle et lui permettre de lire sur leurs lèvres.
Tous craignaient un peu le bruit des appareils de stérilisation et les interférences possibles avec l’implant cochléaire. « Ce n’est pas un problème, finalement. Quand j’ai mal à la tête et que je n’en peux plus des bip bips des machines, moi je peux fermer mon implant, ce que mes collègues ne peuvent pas faire, eux! », raconte Marie-Claude à la blague.
« Ce qui me stressait, c’était surtout de savoir comment l’équipe allait réagir à ça, comment ils allaient m’intégrer », dit-elle. À sa grande surprise, dès son arrivée, ses collègues l’ont accueillie comme l’une des leurs. Ils ont cherché à apprendre quelques mots en langage des signes et ont affiché sur les murs les lettres de l’alphabet en langue des signes québécoise (LSQ) pour mieux communiquer avec elle. Ils la saluent, chaque jour, en LSQ, et la remercient de la même manière. « Je n’en revenais pas de voir un nouveau collègue, dès son premier jour, chercher à apprendre quelques mots en langue des signes! »
« Je suis vraiment fier de voir qu’elle est membre à part entière de l’équipe, et pas seulement une collègue avec une différence», explique Charles. Bien sûr, il lui a aussi fallu s’adapter. Par exemple, « j’ai réalisé que parfois, je parlais en regardant mes documents la tête baissée », ce qui empêche de lire sur les lèvres.
« Marie-Claude s’est très bien intégrée et je suis vraiment satisfait de son travail; comme je lui dis parfois, je ne l’échangerais pas! » Charles est tellement content de l’apport de Marie-Claude qu’ils discutent ensemble d’opportunités de formation afin qu’elle puisse gravir les échelons et accéder à d’autres types d’emploi. « À voir son rendement, ça ne m’inquiète pas du tout! », dit-il. Son conseil pour les gestionnaires qui ont l’occasion d’intégrer une personne avec une différence au sein de leur équipe? « Il faut vraiment aborder cette option avec ouverture! »
Et Marie-Claude, elle? Est-elle heureuse? « Oh oui, très très heureuse! » Et en le disant, elle s’anime encore. On voit bien que ça vient du cœur.