Le 11 mars est la journée officielle de commémoration des victimes de la COVID. Quelques intervenants du CHU de Québec-Université Laval (CHU) ont accepté de nous raconter comment ils ont vécu leur accompagnement des personnes touchées par la maladie au cours de la dernière année. Au nom de tous les Québécois, merci pour votre dévouement et pour votre contribution essentielle!
Dr Nicolas Boursiquot, allergologue, CHUL
Mon expérience comme médecin à l’Unité Covid-19 (ou manifestation tranquille en faveur des mesures sanitaires)
C’est au son des klaxons qui résonnent au loin sur le Boulevard Laurier, à Québec, que j’écris ces quelques lignes. Une semaine s’achève et elle revêt une importance particulière pour moi. Après 15 ans, j’ai de nouveau enfilé mes chaussures de médecin dédié aux soins de patients hospitalisés et je suis allé prêter main-forte à mes collègues de l’Hôpital Saint-François d’Assise. Ce qui était au départ un volontariat un peu forcé s’est transformé en une expérience privilégiée qui m’a marqué.
« L’important, c’est de prendre le temps. » En situation COVID, il faut prendre le temps de bien évaluer les patients, oui, mais prendre le temps pour ne pas se contaminer et pour ne pas contribuer à propager l’infection. Il faut enlever ses gants. Prendre le temps d’enlever sa jaquette d’hôpital, puis sa visière, puis son masque N95 tout en prenant soin de se désinfecter les mains entre chaque étape. C’est là qu’on risque le plus de se contaminer. Heureusement, David et Xavier, de l’entretien ménager, veillent à ce que j’accomplisse ce rituel sans faute. Chacun s’aide. Chacun avance dans la même direction.
De simple allergologue, je suis redevenu médecin responsable de la santé de patients que l’on avait placé sous ma charge à l’hôpital.
« Pis, c’était des non vaccinés tes patients COVID? » Non. On s’entend, je n’ai pas abattu la charge de travail de mes collègues des autres hôpitaux. Je n’ai qu’un mince échantillonnage de la réalité. Certains de mes patients l’ont attrapé à l’hôpital, d’autres auprès de leurs proches et d’autres ne le savent pas.
Avec la COVID-19, les patients vont bien… puis ils ne vont plus bien. Généralement sept jours après avoir été déclarés positifs, les besoins en oxygène augmentent rapidement. On tente les antibiotiques, l’oxygène et d’autres molécules. Ça aide. Mais on ne les sauve pas tous.
Je retourne ce lundi au CHUL. Ce que j’ai fait cette dernière semaine n’a rien d’extraordinaire. Mais l’atmosphère qui régnait à l’étage B-5 de l’Hôpital Saint-François d’Assise m’a permis de constater ceci :
- Il y a des superhéros de la résilience dont on parle trop peu : infirmières, auxiliaires, préposés aux bénéficiaires, mais aussi commis, physiothérapeutes, ergothérapeutes, aumôniers, préposés à l’entretien ménager, etc.
- On est privilégiés d’être en santé. Je pense qu’il est difficile de comprendre ce qu’est la santé jusqu’à temps que l’on soit malade. Et nous devons réaliser que nous sommes responsables de préserver notre santé, surtout quand les moyens nous sont offerts gratuitement pour le faire.
- J’ai la chance de pratiquer le plus beau métier du monde. Et la reconnaissance manifestée par mes quelques patients me l’a vite rappelé.
- Mon collègue médecin qui me « supervisait » (Dr A.C.), sera d’ici moins de cinq ans (si ce n’est pas déjà le cas), une « star » dans son hôpital. Son charisme, sa bonne humeur et son respect des patients et des autres professionnels de la santé font de lui un modèle à suivre.
- Une vague s’achève et on craint tous qu’une autre commence. Mais je demeure optimiste. Le pire, j’espère, est derrière nous. Et si je me trompe, relevons une fois de plus nos manches et soyons unis dans cette épreuve difficile et surréelle.
Message publié sur Facebook le 6 février 2022
Annabelle Clavet, intervenante en soins spirituels, Hôpital de l’Enfant-Jésus
Cette semaine encore, j’ai accompagné un patient qui s’est éteint aux soins intensifs de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus après avoir lutté fortement contre celle que nous connaissons bien maintenant, la COVID-19.
Mon rôle, en tant qu’intervenante en soins spirituels dans la brigade « zone rouge » des établissements du CHU de Québec-Université Laval, est d’offrir soutien, accompagnement, et, si désiré, prières et bénédiction dans les contextes où l’état de santé d’une personne hospitalisée est très précaire ou encore lorsque celle-ci est en fin de vie.
En fait, dans de tels contextes, les intervenants en soins spirituels accompagnent les usagers ainsi que leurs familles dans leur quête de sens face à la maladie et, bien souvent, la mort. Nous tentons de faire vivre un dernier moment dans le respect des valeurs, des croyances et des pratiques spirituelles de la personne afin de rendre son départ plus doux, plus symbolique aussi.
J’aime dire que nous favorisons la reconnaissance de la valeur ainsi que la dignité fondamentale de la personne en marquant ce passage difficile entre la vie et la mort et en laissant un espace de parole à ceux qui l’entourent. Cela permet de cerner l’héritage spirituel qu’elle laisse et qui s’imprime profondément dans le cœur de ceux qu’elle aime.
Enfin, en tant qu’intervenante en soins spirituels dans un contexte de pandémie, je souhaite mettre en lumière la vie jusqu’au bout.
Stéphanie Allen, infirmière clinicienne, unité de médecin pédiatrique 0-17, CHUL
Mireille Beaunoyer, infirmière auxiliaire unité de médecin pédiatrique 0-17, CHUL
Fanny Tremblay, infirmière aux cliniques externes, CHUL
Katheryne Loweryson, préposée aux bénéficiaires dans l’équipe volante, CHUL
Être infirmière dans une unité chaude dans laquelle la clientèle peut être âgée entre 1 et 99 ans nous permet de vivre des situations uniques, souvent tristes, mais parfois très touchantes.
Je me souviendrai toujours de cet homme, arrivé d’une résidence pour personnes âgées et ayant été diagnostiqué avec la COVID dès son arrivée à l’urgence. Transféré à l’étage, il représentait l’image parfaite du grand-père chaleureux, mais avec malheureusement quelques problèmes de mémoire. Vu son état qui se dégradait, les membres de sa famille ont décidé d’aller de l’avant avec les protocoles de détresse respiratoire.
Le protocole lui a été administré à deux reprises, mais son état ne ressemblait toujours en rien à celle d’un homme en fin de vie. Mes collègues et moi avons pris les choses en main et avons plaidé l’arrêt du protocole.
Quelques jours plus tard, l’homme qui semblait destiné à quitter ce monde jouait maintenant aux cartes, racontait des histoires et se promenait avec sa marchette. J’entends encore sa voix roque fredonner « La dame en bleu » au travers de son sourire édenté, mais si réconfortant, dès qu’une d’entre nous entrait dans sa chambre avec la combinaison bleue (équipement de protection idividuelle).
Il est finalement rentré chez lui, auprès de ses amis de la résidence, plus en forme qu’il ne l’avait été depuis plusieurs années.
La pandémie nous a montré des côtés sombres de notre métier, mais certaines histoires comme celles-ci mettent de la lumière dans ces journées plus difficiles.
Winkel Madet, travailleur social, unité des soins intensifs, Hôpital de l’Enfant Jésus
Ancien enseignant d’histoire et de philosophie au niveau préuniversitaire en Haïti et travailleur social au CHU depuis 2015, je considère que mes études universitaires dans des sujets variés comme les sciences politiques, le droit, la gérontologie et le travail social sont des atouts considérables dans mon travail.
Mon parcours me permet d’exprimer clairement des émotions nuancées dans des situations extrêmement sensibles et émotives pour la famille et les patients que j’accompagne. Mon travail consiste également à accompagner, par exemple, les proches dans les démarches administratives et financières à la suite au décès d’un patient.
Les effets de la COVID se sont fait bel et bien sentir dans mon travail de TS, mais également chez les patients et les familles que j’accompagne. Lorsque l’interdiction des visiteurs et des proches aidants dans tous les hôpitaux a été mise en place, ça a été un grand choc pour les patients. L’isolement a clairement amplifié l’anxiété et la détresse que peuvent vivre des personnes se trouvant déjà dans des situations difficiles. Nous avons donc dû adapter notre travail en faisant plus de suivis téléphoniques avec les proches. C’était une situation difficile pour tout le monde.
La COVID-19 a non seulement affecté les gens qui ont directement contracté le virus, mais également l’organisation de l’accompagnement des patients. Et surtout, j’ai vécu de près le décès de personnes de toutes les tranches d’âge liées à des complications causées par la COVID-19, autant des jeunes familles que des personnes plus âgées.
Malgré ces expériences difficiles, je considère que ça fait partie de mon travail de partager cette expérience de deuil avec les proches des victimes, tout en gardant une approche professionnelle et en évitant d’être absorbé par les émotions et la situation.